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Citations sur L'Heure du roi (83)

Au quartier général, les téléphones sonnaient sans trêve, les visières vernies des stratèges se penchaient sur les cartes, le télégraphe tambourinait des dépêches chiffrées. Ce mécanisme trop lourd et trop sophistiqué, ces généraux qui percevaient des salaires trop élevés, cette science militaire qui guidaient chacun de leurs pas constituaient un ensemble trop sérieux, trop important et trop noble pour qu'on pût sans manières ni secrets, sans pompe macabre ni plan minutieux, étayé par une documentation surabondante, tordre le cou à un pays désarmé et impuissant.

Page 16.
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Ses sujets notèrent avec satisfaction la reprise de la coutume ancestrale. dieu soit loué, le roi est à cheval ! La silhouette, familière depuis l'enfance, imprimée sur les timbres-poste, gravée sur les gâteaux de chocolat, partie intrinsèque de la vie quotidienne, telle la marque du fabriquant sur un vieux chapeau, la chère image leur était rendue : le cliquetis net des sabots chassa la vision sinistre de l'occupant, des pots de chambre gris-vert, des uniformes gris souris et des drapeaux couleur carotte. Le roi est sur son cheval--tout va bien. Ils l'avaient appris dès l'école maternelle.
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Depuis l’époque de Numa Pompilius, la coutume de prévenir l’ennemi avant de l’attaquer paraissait tellement aller de soi que nul n’a jamais songé combien il serait plus simple et plus commode de s’approcher par-derrière, à pas de loup, et, sans interpeller la victime, de se jeter sur elle et de la saisir par la gorge. Une telle stratégie ne pouvait naître que dans un pays sortant de la tempête purificatrice de la révolution nationale-socialiste. Cependant, à l’époque où le chancelier et le Führer de la nation allemande signa l’ordre d’investir le minuscule pays dont il sera question dans ce récit, ledit pays n’était plus que la huitième ou la neuvième acquisition du Reich, et la stratégie du silencieux Blitzkrieg avait déjà perdu de sa nouveauté. Comme lors des campagnes précédentes, l’invasion se déroula sans surprise pour le commandement, en stricte conformité avec le plan. Il serait inutile de décrire l’opération tout entière ; contentons-nous de résumer les étapes de l’offensive principale. Vers cinq heures du matin, une colonne de motards apparut sur la voie menant au poste frontière. Ils roulaient en première, quatre par quatre, les mains collées au guidon, suivis d’énormes véhicules blindés
tonitruants, qui avançaient en creusant des trous dans la chaussée ; derrière eux, une limousine transportait le guerrier en chef , alors que les officiers de l’état-major fermaient la marche,doucement brinquebalés dans leurs voitures. Cela surgissait du brouillard comme engendré par le néant. Le poste frontière : deux poteaux reliés par une barre transversale. À côté de la route se dressait une maisonnette en brique à un étage. Lorsque le premier quatuor, dont les casques gris vert évoquaient des pots de chambre renversés, eut atteint le passage à niveau, le garde frontière en costume d’opérette, debout à côté de la manivelle, n’eut aucune réaction : majestueux, une hallebarde à la main, svelte et immobile comme sur une carte postale, il fixait l’horizon d’un regard exalté et limpide. Un sous-officier dut descendre pour actionner lui-même la manivelle. La barrière bariolée remonta avec un grincement, mais, à mi-chemin, se coinça — et le sous-officier, éructant, jurant, secoua la poignée de la machine rouillée dans tous les sens. Un retard menaçait de compromettre le déroulement impeccable de l’opération minutée avec précision.
Un adolescent de dix-huit ans, chef du poste frontière, apparut sur le seuil de la maison en brique ; il bâillait voluptueusement, frissonnant dans la fraîcheur matinale. La brume enveloppait les collines ; dans les branches emperlées de rosée des taillis bleuâtres, les oiseaux commençaient à peine à se réveiller. Le blaireau sortait de sa tanière, les yeux exorbités, pleins de sommeil. Le chef adolescent dévisagea cette armée d’un air maussade, en se demandant si ce n’était pas un rêve ; puis, avec le flegme de celui qu’on a tiré de son lit, défit lentement son étui. Il resta étendu devant la maison ; la casquette surmontée d’un monogramme traînait par terre ; le vent jouait dans sa chevelure dorée. Un coup de pied entre les jambes ramena à la raison le garde frontière, qui se tenait toujours, cloué sur place, à côté du passage à niveau, alors qu’un coup de crosse faisait voler son arme postiche. Pendant ce temps, un soldat coiffé d’un pot de chambre vert grimpait sur le toit e t arrachait du mât l’étendard du pays, ce qui lui vaudrait une décoration. Et tout l’espace fut couvert de poussière et de fracas.
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La magie des ordres concrets, secrets pour la plupart irrévocables comme la parole divine, bien que souvent contradictoires -, qu'on nommait "directives", consistait en ce qu'aussi haut qu'on remontât dans la hiérarchie, on ne trouvait nulle trace de ceux qui les avaient donnés. Il était impossible de rencontrer les législateurs, les inventeurs du régime ; les camarades du parti, quel que fût leur rang, ne faisaient qu'obéir aux ordres venus de sphères encore plus élevées : ils assumaient tous la même responsabilité ou - ce qui revient au même - nul n'était responsable de rien.
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Le lendemain, la matinée douce et grise ne fût marquée par aucun événement, si ce n'est qu'aussitôt après avoir expédié les affaires courantes, le roi ordonna qu'on lui apportât cette ... chose. Il en exigea même deux exemplaires. Le secrétaire, qui entendit la demande, se creusa la tête pour déchiffrer sa signification. Cédric passa dans les appartements de la reine (Amalia suivait ces préparatifs avec épouvante), ordonna à la femme de chambre de déposer le nécessaire sur un guéridon devant la glace, puis la renvoya. Chirurgien et ancien soldat, il savait manier l'aiguille et le fil. Cependant, il attachait de l'importance à ce que ce fût exécuté par Amalia. Il fallait se dépêcher : l'heure du roi approchait et Cédric ne se permettait pas une minute de retard.
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Cependant, tout compte fait (et cela mérité d’être noté), l’occupation se révélait moins dure que prévu. Le vainqueur épargnait le pays, par respects de son impuissance manifeste, semblait-il. (…) Inutile de préciser qu’on avait instauré le couvre-feu, introduit les cartes de rationnement, le travail obligatoire, le système de passeports intérieurs et de permis de résidence, la « chope de victoire », les emprunts d’Etat obligatoires, l’interdiction de quitter le travail pour les ouvriers de l’industrie, l’interdiction de circuler librement à l’intérieur du royaume, l’interdiction inconditionnelle de se rendre à l’étranger, même pour rejoindre ses parents, ses enfants ou son conjoint. Les moindres vélléités politiques avaient été supprimées : la censure veillait sur tout ce qui sortait de la presse, des annuaires téléphoniques jusqu’aux annonces de mariage des feuilles locales en passant par les romans, les tickets de tramways et les bons pour acheter le kérosène. Nul discours public, y compris les sermons, ne se passait de l’expression de la gratitude la plus profonde envers le Führer, le père des peuples et le meilleurs des hommes.
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L'acte absurde occulte la réalité. À la place de " la " vérité recevable pour tous, il met en exergue " une " vérité qui ne vaut que pour un seul individu. Strictement parlant, cela signifie que celui qui décide d'agir selon " sa " vérité devient, en soi, une vérité. L'homme qui prend une décision absurde et qui passe à l'acte se met à la place de Dieu. Puisque Lui seul s'autorise à ignorer " la " réalité.
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L'absurde possède une capacité à s'intégrer à la réalité, à y acquérir une sorte de légitimité, de la même façon que, dans la cervelle d'un fou, le délire et les fantasmagories cohabitent avec un reste de bon sens suffisant pour lui permettre de vivre parmi les gens sains d'esprit.
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Tout y était considéré comme secret d’Etat, enveloppé d’un mystère jalousement préservé, de la politique étrangère aux catastrophes naturelles en passant par le taux des divorces. Personne ne savait rien, personne n’avait le droit de savoir ; il convenait de se méfier de chacun, car nul n’échappait à la suspicion - et la population vivait dans la certitude d’être entourée d’une foule d’ennemis, extérieurs et intérieurs.
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L'essence mystique du Reich se manifestait par sa capacité à être gouverné par des lois dont on ignorait l'origine.
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