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Critique de Presence


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Ce tome fait suite à Oblivion song, tome 1 (épisodes 1 à 6) qu'il faut avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2018/2019, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Lorenzo de Felici, mis en couleurs par Annalisa Leoni.

Attention : ce commentaire commence par une révélation sur la fin du premier tome.

Nathan Cole est maintenant un détenu, aux bons soins de l'armée, avec une combinaison orange réglementaire. Il raconte tout. Il faisait partie d'un laboratoire d'idées, financé par des fonds privés. Il se composait de lui et de Bernard Osmond, Marie Osmond, Leslie McKinley, Katherine Jonas. Ils effectuaient des recherches sur une radiation énergétique mystérieuse, et avaient fini par concevoir et construire un générateur d'ancrage binaire leur permettant de se mettre en phase avec ladite énergie. Bien sûr, une fois le générateur au point, ils avaient mené l'expérience à son terme en l'activant. L'électricité avait coupée et les lumières s'étaient éteintes. Par la fenêtre, ils avaient vu les gens sortir dans la rue, et ils avaient fini par faire de même. Tout semblait normal sauf pour la couleur du ciel. Puis un enfant avait aperçu un drôle d'oiseau dans le ciel. Un énorme quadrupède avait fait son apparition dans la rue, montrant ses dents dans une attention agressive. Puis des créatures avec de courts tentacules à la place de la tête avaient commencé à courir en tout sens dans la rue. Les gens s'étaient mis à paniquer et à aller se réfugier dans les immeubles. Katherine Jonas et Nathan Cole avaient regagné le laboratoire pour se remettre au travail sur le générateur d'ancrage binaire afin d'essayer de renverser le phénomène.

Nathan Cole raconte son histoire jusqu'au bout et le général en face de lui déclare qu'il le dégoute. Pendant ce temps-là, Edward Cole a erré dans les rues de ville, et il finit par trouver le courage d'entrer dans un bar. le barman lui indique qu'il ne sert pas les clochards. Il demande à parler à Carla : le barman répond qu'elle est morte depuis cinq ans. Il demande alors si Lucy Belham continue de venir boire un coup ici, et si elle est toujours avec Jonathan. Intrigué, le barman lui demande qui il est. Edward préfère répondre qu'il n'est personne d'important, et il s'en va. Il marche au milieu des passants et une mère tire son garçon en arrière lui demandant de faire attention car il a failli percuter ce sans-abri dégoutant. Duncan rentre chez lui avec ses courses et il trouve Lucy assise sur le paillasson en train de l'attendre. Il lui propose qu'ils parlent de ce qui les séparent : sa découverte de l'existence de Benjamin, vraisemblablement l'amant de sa compagne. Heather apporte des documents à son chef l'inspecteur Ward. le militaire lui explique qu'il va conserver son compagnon Nathan Cole sous les barreaux, parce que s'il le livrait aux autorités civiles, Nathan se ferait lyncher. Il ajoute que son invention intéresse des personnes en haut lieu, car elle doit pouvoir servir à construire une arme.

S'il a lu les séries The Walking Dead ou Invincible, le lecteur sait pertinemment que Robert Kirkman est un maitre du suspense, avec une efficacité élégante et redoutable. Il n'était pourtant pas préparé à la révélation finale du premier tome. le scénariste ne tourne pas autour du pot : Nathan Cole déballe tout dans le détail, dès le début de ce second tome. Pas d'entourloupe : pas d'incompréhension ou d'interprétation erronée, c'est du solide. Comme il dispose d'une liberté d'écriture totale, cette révélation éclaire d'un jour nouveau le personnage principal et ses motivations, et il ne fait pas durer le plaisir. Il balance un événement cataclysmique en plein milieu du temps présent, un peu dur à avaler sur le moment, mais qui peut finir par se comprendre au vu du personnage qui commet cet acte irréparable. L'intrigue avance donc rapidement, avec son lot de moments inattendus, et ses scènes spectaculaires. le lecteur ne s'ennuie pas et trouve ce qu'il attend, à commencer par des monstres pas beaux qui sont la norme pour la faune d'Oblivion. Tout commence avec le récit de Nathan Cole et l'artiste n'a rien perdu de son goût pour les monstres. Il image et il dessine des animaux qui ne peuvent pas exister sur Terre, avec une apparence réellement monstrueuse : une texture de peau répugnante, des articulations impossibles, des comportements agressifs de prédateurs, ou de simples réflexes de survie pour éviter d'être mangés. La réalité Oblivion reste un environnement post apocalyptique, effrayant dans ce qu'il montre de la destruction de la civilisation moderne, angoissant par les créatures et la flore tellement étrangères à l'humanité qu'elles ne peuvent qu'être dangereuses.

L'intrigue comprend donc des scènes d'action : fuite haletante pour éviter les monstres, un peu d'exploration, cambriolage spectaculaire, combat acharné contre les monstres. le lecteur ressent que le dessinateur ne se contente pas de passer en mode automatique, en s'investissant juste ce qu'il faut pour apporter du dynamisme et de la vitesse. Il se rend compte que l'artiste a une idée claire des lieux dans son esprit, de leur disposition : les personnages et les monstres progressent dans des environnements avec une cohérence spatiale, pas juste une enfilade de décors en toile de fond. En outre, de Felici conçoit des plans de prise de vue qui accompagnent ces déplacements, entraînant le lecteur dans aux côtés des protagonistes qui réfléchissent en même temps entre s'élancer dans un espace découvert qui leur permet de mettre de la distance avec les poursuivants, ou bifurquer vers un endroit qui constitue un abri avec le risque de s'y retrouver piégés. le scénariste n'a pas besoin d'expliquer tout ça, car ça se comprend juste en regardant les personnages agir.

Le scénariste continue également de développer ses personnages, pas uniquement à coup de révélations fracassantes ou de hauts faits, mais également dans leurs relations interpersonnelles. Il écrit une comédie dramatique, assumant pleinement le caractère appuyé de certaines tensions émotionnelles ou conflits affectifs : la culpabilité écrasante de Nathan Cole qui n'avait plus d'autre choix que de passer sa vie à expier, le syndrome de stress post traumatique de Duncan qui refuse de l'admettre, la hantise d'Edward de redevenir un individu sans valeur pour la société, le sens du devoir très rigide du directeur Ward, etc. Il suffit que le lecteur les regarde pour avoir une idée de leur état d'esprit grâce à une direction d'acteurs de type naturaliste et expressive : l'attitude résignée de Nathan avec la tête baissée et les mains immobiles sur la table, le regard plein d'amour d'Heather en toute connaissance de cause de ce qu'a fait Nathan, les émotions successives qui passent sur le visage de Bridget alors qu'elle évoque sa vie sans lui à Duncan, puis sa réaction quand il vient la trouver chez elle quelques jours plus tard, et bien sur les tensions lors des différentes discussions entre Nathan et Edward. L'artiste a trouvé le bon dosage entre banalité et exagération pour rendre compte des forces émotionnelles qui habitent et meuvent ces individus, forces parfois en sommeil, parfois s'exprimant dans toute leur intensité.

Le scénariste ne change pas la recette qu'il maîtrise à la perfection : de l'action spectaculaire et de grande ampleur, des personnages animés par de fortes émotions, et de préférence montrer plutôt qu'expliquer. Bien qu'il ait changé le statut du personnage principal aux yeux du lecteur en le faisant passer de héros altruiste à un individu expiant sa faute de toute sa force, et donc pas si admirable que ça, il parvient à conserver son capital sympathie chez le lecteur. En effet Nathan Cole continue d'aller de l'avant, et vit avec sa culpabilité d'une ampleur qui terrasserait n'importe quel individu. Il est donc question de rédemption et de seconde chance. Nathan a choisi de consacrer sa vie à réparer sa faute, seule stratégie mentale lui permettant de vivre avec ce poids écrasant. le lecteur découvre que d'autres personnages se trouvent dans un conflit psychologique similaire, et le gère différemment. le lecteur en vient ainsi à s'interroger plus avant sur l'acte monstrueux commis par Edward Cole, et se dit qu'il reflète la force de son angoisse à l'idée de revenir à la normale, de redevenir un petit magouilleur sans envergure dans une société qui le considère comme un minable et un élément inutile et nuisible. le mélange de genres, entre anticipation et horreur, fait complètement sens par rapport à aux conflits psychiques irrésolus qui animent les principaux personnages, matérialisant leur dynamique.

Avec ce deuxième tome, le lecteur obtient la confirmation que Robert Kirkman l'a rendu encore une fois accro à ses écrits, et qu'il a su trouver un artiste à la hauteur pour donner vie à son histoire. Lorenzo de Felici emporte le lecteur dans les scènes d'action : des personnages vifs agissant en réfléchissant en fonction de la menace et de leur environnement. Il les fait vivre en faisant ressentir leurs émotions au lecteur, grâce à leur langage corporel et leurs expressions de visage. le scénariste emporte tout autant le lecteur avec des surprises à tous les épisodes, certaines énormes, des personnages complexes et imparfaits dont les conflits intérieurs nourrissent l'intrigue au même plan que l'action.
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