AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 4 : Amour et mort (épisodes 19 à 24) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 25 à 30, initialement parus en 2006, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, avec des trames grises appliquées par Cliff Rahtburn. Pour pouvoir comprendre les implications pour les différents personnages, il vaut mieux avoir commencé la lecture de la série au premier épisode.

Rick Grimes et Dale sont en train d'inspecter une autre aile de la prison pour s'assurer qu'elle ne recèle plus de zombies et qu'elle est habitable. Ils se retrouvent nez à nez avec Tyreese par surprise, les relations entre lui et Rick restant tendues. Ils sont interpellés par Glenn et Maggie qui ont trouvé la réserve d'armes à feu (essentiellement des fusils à pompe) et des tenues anti-émeutes. Protégés par ces tenues, Rick Grimes et Glenn effectuent une sortie pour aller siphonner de l'essence dans les réservoirs des voitures garées sur le parking afin d'alimenter le générateur de secours de la prison.

Pendant ce temps-là, les plantes semées par Hershel Greene continuent de pousser dans la cour. Carol essaye d'expliquer sa solitude à Lori Grimes, et lui fait une proposition d'un plan à 3. Carl continue d'apprécier la compagnie de Sophia, la fille de Carol. Andrea & Dale proposent un arrangement aux jumeaux Ben & Billy. Tyreese et Axel s'installent devant la clôture pour vieller pendant la nuit, et papotent de choses et d'autres. le jour même un hélicoptère s'est écrasé non loin de la prison. Il a été décidé qu'un groupe de trois se rende sur place en voiture pour voir s'il y a des survivants : Rick Grimes, Glenn et Michonne qui a trouvé le moyen de récupérer son katana. À côté de l'épave de l'hélicoptère les attend une surprise de taille : de multiples traces de pas.

Le tome précédent avait marqué un palier significatif. Les différents membres de la communauté avaient enfin pu se poser plusieurs jours durant, et avaient eu le temps de penser à autre chose que la survie immédiate. En l'absence de danger grave et imminent, la tension s'était relâchée pour plusieurs personnages de manière diverse et variée, avec des conséquences plus ou moins heureuses. Parmi elle, Rick Grimes avait fini par accepter un mode de prise de décisions différent et il avait exprimé à haute et intelligible voix le sens que donne Robert Kirkman au titre de la série, à savoir qui sont ces marcheurs morts. Pourtant le lecteur découvre un début de tome paisible : les tensions sous-jacentes ne s'expriment pas et tout le monde dispose d'un espace vital suffisant. Les velléités des uns et des autres de se livrer à leurs propres occupations ne semblent plus menacer la cohésion du groupe. le lecteur est épargné d'avoir à assister à une réunion de comité de décision. L'exploration et le nettoyage de la prison arrivent à leur terme et les lieux sont sécurisés, débarrassés de tout marcheur pourrissant. le scénariste a le temps de s'occuper de quelques-uns de ses personnages.

Robert Kirkman continue de montrer les tensions entre Lori et Rick du fait des responsabilités de ce dernier. le lecteur se retrouve emporté aux côtés de Rick, voyant en lui un héros courageux, l'épine dorsale et la tête pensante de la communauté, l'individu qui prend les bonnes décisions, qui pense à quelques jours en avance, et sait organiser les choses. Il ressent de l'amitié pour cet homme brave qui prend les choses à bras le corps, avec un sens du service de la communauté, et de l'intérêt général. Pourtant le ressentiment de Lori à son encontre ne la rend pas antipathique, mais permet de relativiser la position de héros, de donner un point de vue différent sur cet homme qui ne peut pas cumuler toutes les fonctions. Il donne du temps pour la communauté, temps qu'il ne peut pas consacrer à sa famille. le scénariste prend également du temps pour montrer que la relation entre Maggie et Glenn ne se limite pas aux relations sexuelles. Il évoque la tension entre Rick et Tyreese par le biais d'une tierce personne, montrant ainsi que Rick et Tyreese se comportent en adultes qui doivent coexister et collaborer même s'il reste des non-dits entre eux. Il montre la frustration de Carl par petites touches, en particulier quand il essaye de prendre la place du père en rassurant sa mère.

Pendant ces moments de calme, Robert Kirkman trouve un plus juste équilibre entre la nécessité de dramatiser pour conserver l'attention du lecteur avec une dose suffisante de divertissement et une narration plus en nuance pour certains aspects psychologiques. le lecteur sourit et grimace en même temps en voyant Andrea & Dale prendre en charge les jumeaux. Il sourit devant leur maladresse, il grimace d'empathie en voyant la détresse de Ben & Billy. Cette page rappelle que cette génération d'enfants grandit en voyant des zombies tous les jours, en côtoyant ces morts vivants chaque journée, ces cadavres en décomposition qui les regardent, les vivants étant regardés quotidiennement par les morts. Il n'y a plus le filtre des adultes pour tenir la présence de la mort à l'écart. La normalité de la société est un souvenir qui s'efface pour cette génération qui grandit face à la mort en marche.

Alors que ce n'est que le troisième tome illustré par Charlie Adlard, le lecteur éprouve déjà la sensation de retrouver les caractéristiques de ses dessins, à la fois confortables, à la fois limitées. Il y a ces gros aplats de noir qui ne sont pas forcément cohérents avec les sources lumineuses, mais plus pour donner du poids à la case, l'assombrir, marquer l'aspect sinistre ou macabre d'une séquence. Il y a ces simplifications un peu plus importantes dans certaines cases ou pour certains éléments comme les modèles de voiture sur le parking qui ne sont pas reconnaissables, les murs des cellules et les barreaux plus schématiques que réalistes, ou encore la carcasse de l'hélicoptère dont le lecteur se demande bien comment il a pu finir dans une telle position. Il y a enfin ces gros plans réguliers sur les visages, mais moins systématiques que dans le tome précédent.

Néanmoins le lecteur se souvient que l'artiste l'avait également fortement impressionné lors de quelques séquences du tome précédent, malgré la dramatisation sans nuance des images. Ici, l'utilisation de noir rend très bien compte des ténèbres des couloirs de la prison dès qu'il n'y a plus de fenêtre, installant immédiatement un climat tendu du fait qu'un zombie peut surgir à tout moment. Les zombies qui regardent les vivants de l'autre côté du grillage sont toujours aussi sinistres et morbides, rappelant la scène saisissante du tome précédent. le langage corporel va en s'améliorant lors des moments intimes. Il subsiste un nombre conséquent de gros plans sur les visages matraquant au lecteur le malaise des personnages, mais leurs gestes viennent compléter ces visages pour raconter plus que des expressions ahuries ou affligées. Il reste l'apparence trop aventurière de Michonne avec sa cape et son katana, mais on peut supposer qu'il s'agit d'une prescription imposée par le scénariste.

Arrivé au quatrième épisode, le lecteur fait connaissance avec Philip Blake, surnommé le Gouverneur, à Woodbury. Adlard ne peut pas s'empêcher de se reposer sur un dessin pleine page en contreplongée pour indiquer tout le magnétisme du personnage, son aura et son charisme. À nouveau, il s'agit d'un dessin qui dramatise à outrance, pour être sûr que le lecteur en ait bien compris l'importance, comme si le dessinateur avait peur de s'adresser à des individus pas assez futés. le dessinateur ava être amené à user à nouveau d'effets dramatiques à plusieurs reprises dans ce tome du fait des événements catastrophiques, soudains et brutaux qui surviennent. Alors que ces effets donnent l'impression d'une mise en scène trop appuyé pendant les moments du quotidien, ils s'avèrent ici d'une efficacité redoutable et d'une terrible pertinence pour ces instants. le scénario de Robert Kirkman n'y va pas avec le dos de la cuillère, et les dessins ne doivent laisser planer aucun doute quant à l'anormalité de certains comportements. L'exagération dramatique contraint le lecteur à prendre ces actes barbares au premier degré, sans échappatoire possible, sans rationalisation possible, sans discussion. Pour le coup, la franchise des dessins et la mise en scène appuyée sont nécessaires pour transcrire le caractère immonde de ces actes. Dans le dernier épisode, les 2 auteurs sont visiblement parfaitement en phase pour faire tourner le lecteur en bourrique. Glenn et Maggie ont donc trouvé des tenues anti-émeutes, avec casque à visière fumée, qui fournissent une excellente protection contre toute morsure de zombie, et qui masquent complètement l'identité de celui qui la porte. Ils jouent habilement de cette caractéristique en menant le lecteur par le bout du nez, avec une adresse remarquable, et inattendue au vu de leur propension à appuyer leurs effets narratifs.

Malgré la conclusion très pessimiste du tome précédent (la sentence terrible de Rick Grimes concernant le sens de l'expression Wlaking Dead), le lecteur voyait avec plaisir la petite communauté s'organiser dans l'abri de la prison, penser à plus de 24 heures à l'avance, et retrouver quelques éléments de la civilisation, à commencer par le plaisir de la lecture. Il apprécie donc de voir ces mêmes individus continuer à faire des projets et à regagner quelques marches sur l'échelle de la civilisation. Mais Robert Kirkman n'en a pas fini avec l'autopsie de la civilisation et de ce qui a été perdu. Il frappe donc un grand coup, maltraitant plusieurs de ses personnages. Dans un premier temps, le lecteur grimace vaguement en retrouvant la propension de l'auteur à ne pas faire les choses à moitié, et à toujours préférer le plus violent, le plus spectaculaire, le plus primaire en termes de surprise. Il se souvient quand même que cette brutalité présente une cohérence thématique avec le fait que les barrières protectrices et les facilités de la vie ont disparu avec l'effondrement de la civilisation. Il est donc d'une certaine manière légitime que beaucoup de choses tenues pour acquises doivent être reconstruites à partir de zéro, et que beaucoup d'évidences doivent être réexaminées.

Le scénariste commence en douceur avec le comportement de Carol. Déjà dans les tomes précédents, il avait fortement insisté sur un comportement atavique qu'il attribue aux femmes, et que le lecteur peut ou non accepter : se mettre sous la protection d'un mâle vigoureux capable d'assurer sa défense, de combler le besoin de sécurité. Ici il continue de filer ce thème, mais avec une proposition inattendue de Carol, inattendue parce qu'elle sort des canons sociaux jugés comme acceptables. Cela reste très cohérent avec l'importance de la cellule familiale, reconsidérée à l'aune de la mort qui rôde sous forme de zombies. Puis, dans le cadre des atrocités qui s'abattent sur une poignée de membres de la communauté, le lecteur assiste à une scène de viol. Pour le coup, il reconnaît que l'hypocrisie des comics relative à la nudité a ceci de bon que la séquence ne fait pas de lui un voyeur. La mise en scène dramatisée d'Adlard génère une empathie terrifiante quant à la souffrance de la femme concernée, battue en plus. Elle redevient une victime de la force masculine, victime de sa violence pour assouvir une pulsion sadique pathologique.

Néanmoins ce sadisme pathologique et ce besoin de faire souffrir s'exprime également à l'encontre d'individus mâles. du coup, le lecteur ne peut pas accuser l'auteur de complaisance vis-à-vis du viol, ou de misogynie car le comportement de l'agresseur relève d'un sadisme à l'égard de plusieurs individus quel que soit leur sexe. le lecteur peut toujours se demander s'il était nécessaire d'inclure un tel niveau de violence sadique dans le récit, mais il reconnaît rapidement qu'il sert le récit et qu'il s'y intègre de manière organique. À nouveau, l'effondrement de la civilisation remet sur le tapis la question de la forme de la gouvernance, de la loi du plus fort et de la morale judéo-chrétienne, à commencer par quelques-uns des 10 commandements. Tu ne tueras point. Tu ne déroberas point. Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain. Quelques membres de la communauté voient tous les acquis chèrement retrouvés, anéantis en l'espace d'une heure, alors qu'ils sont soumis à la volonté d'un autre chef abusant de son autorité, ayant instauré d'autres règles iniques, et donnant à ses sujets du pain et des jeux. Ce qui peut passer pour des rebondissements gratuits et malsains, constituent également le constat que la démocratie n'a pas été instaurée en un jour et qu'elle est aussi fragile que la civilisation. Certains sont prêts à se comporter en mouton pour pouvoir jouir d'une forme de sécurité et de paix sociale, et à laisser d'autres payer le prix de ces bienfaits.

Décidément, Robert Kirkman et Charlie Adlard persistent et signent dans leur mode narratif brutal et sans beaucoup de nuances. Mais derrière des apparences racoleuses et putassières, il est également possible d'y voir une cohérence avec un retour à un état plus sauvage. Cette deuxième façon de voir les choses trouve une justification dans les thèmes complexes qui sont abordés avec plus de finesse qu'il n'y paraît. Dès le premier épisode, le lecteur en a l'intuition quand Rick Grimes avoue à Dale qu'il ne se souvient déjà plus du prénom du fils de Morgan, le voisin qu'il avait rencontré dans le tome 1, illustrant la fragilité de la mémoire, l'importance du ici et maintenant, de vivre l'instant présent car demain sera peut-être la fin. Robert Kirkman ose parler de l'inéluctabilité de la mort à brève échéance, les zombies devenant la matérialisation de la mort qui nous attend tous, tout le temps sous les yeux des personnages. le lecteur grimace également un sourire sinistre en repensant à la proposition de gestion du groupe, par des décisions prises en comité, une résolution qui n'aura même pas eu le temps d'être appliquée, balayée par les nécessités du présent.
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}