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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Walking Dead, tome 24 : Opportunités (épisodes 139 à 144) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 145 à 150, initialement parus en 2015/2016, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, encrés par Stefano Gaudiano, avec des nuances gris appliquées par Cliff Rathburn.

Rick & Carl Grimes, Dante, Michonne, Andrea et Lydia se recueillent prostrés devant le massacre qu'ils ont découvert à la fin du tome précédent. Michonne est effondrée et les autres se mettent à transpercer les crânes de leurs amis avec des couteaux effilés pour éviter qu'ils ne reviennent à la vie. Michonne finit par se jeter sur Lydia, la soupçonnant d'avoir su ce qui allait arriver. Carl la menace de son arme à feu pour essayer de la ramener à la raison avant qu'elle ne fasse vraiment mal à sa copine. Michonne exige alors réparation de la part de Rick Grimes, c'est-à-dire qu'il déclare la guerre séance tenante aux chuchoteurs. Ce dernier essaye de tempérer, demandant le temps de la réflexion pour essayer de se rendre compte des conséquences d'une telle décision. Avant de rentrer à Alexandria, il leur reste à enterrer leurs morts.

À Alexandria, Eugene Porter a effectué une découverte exceptionnelle, une dernière pièce lui permettant de compléter un poste de radio fonctionnel. Maggie Greene, Paul Monroe et un troisième viennent toquer à sa porte pour s'enquérir de sa santé et de celle de Rosita. Il sort en coup de vent, paniqué, à la recherche de Rosita. Rick Grimes et les autres sont revenus dans la zone d'Alexandria, et il s'adresse à la communauté. Il a la lourde tâche de leur annoncer la mort de 12 des leurs. Dans les heures qui suivent, Rick Grimes se prend de plein de fouet la colère et la fureur des proches, la soif de vengeance, l'exigence d'agir. Il se heurte également à l'avis de Maggie Greene, très différent du sien. Il décide de percer l'abcès et de lui demander ce qui s'est passé avec Gregory à la colonie Hilltop.

Il était hors de question pour le lecteur de ne pas revenir pour ce vingt-cinquième tome, à cause de l'événement hallucinant s'étant produit dans la dernière scène. Kirkman & Adlard avaient réussi de main de maître leur scène choc, sans pour autant trop tirer sur la corde de la plausibilité. le lecteur avait ressenti de la peine pour la douleur des personnages, un sentiment de perte du fait de l'identité de certaines victimes, et l'inquiétude qui vient avec le passage par un point de non-retour ne pouvant qu'entraîner une dégénérescence de la situation. Ils réussissent à nouveau parfaitement à faire passer l'émotion générée par ces décès. Charlie Adlard reprend la mise en page qu'il avait utilisée dans le tome précédent, avec des cases de la hauteur de la page, pendant 4 pages, pour évoquer la mémoire des défunts, au travers de leurs proches encore vivants. le lecteur est saisi par le sentiment de perte irrévocable et de chagrin, grâce aux dessins toute en retenue, avec des cases qui font la part belle aux aplats de noir qui dominent la partie supérieure de chaque case. L'artiste réussit à utiliser l'artifice de la surface noire, pour un effet narratif tout en retenue et tout en respect.

Les auteurs ne se limitent pas à la perte d'êtres aimés pour générer des émotions. En cours de tome, Rick Grimes indique qu'il est en proie à la peur, celle de perdre tout ce qui a été bâti par la communauté, par les communautés, et de revenir à un état antérieur. Or c'est la communauté entière qui est la proie des émotions, les individus étant partagés entre cette peur et le besoin irrépressible de vengeance, de faire souffrir ceux qui les ont rabaissés à cet état. Même en gardant à l'esprit que Robert Kirkman est un maître manipulateur prenant plaisir à faire du lecteur un pantin ballotté par les émotions, et bien aidé en cela par Charlie Adlard, le lecteur ne peut pas réprimer son élan d'inquiétude pour ces personnages qui souffrent et qui voient leur sécurité réduite à néant. Il ne peut pas se sentir solidaire de Carl essayant de réconforter Lydia par des gestes chastes, ou de Lydia exprimer sa défiance vis-à-vis de ses sauveurs dont la communauté se montre agressive envers eux, ou de Michonne incapable de refouler ses émotions et pleurant à chaude larme. Tout en sachant qu'Adlard est passé maître dans l'art d'intensifier les ressentis, il se trouve emporté par leur justesse et par la tension émotionnelle régnant dans la communauté. Il a beau voir une ou deux grosses ficelles, il n'en reste pas moins que la tonalité de la narration sonne juste.

Mais ce n'est pas tout, le lecteur est également revenu pour assister à la catastrophe annoncée : la confrontation des valeurs de Rick Grimes, et de celles des valeurs des Chuchoteurs. Grimes a fait comprendre à tout le monde qu'il voulait bâtir une société sur un modèle inclusif, et respectueux des valeurs d'autrui, fussent-elles celles des Chuchoteurs. Il avait affirmé de manière éclatante ces valeurs lors de son duel contre Negan. Il les avait réaffirmées lors des premières rencontres avec des petits groupes de Chuchoteurs, reconnaissant leur culture, ainsi que le droit de leur communauté à vivre différemment de la sienne. Il avait oeuvré pour une coexistence pacifique, malgré des moeurs problématiques. Dans le même temps, le scénariste avait montré les chemins différents empruntés par Maggie Greene avec la colonie Hilltop, et par Dwight avec les Sauveurs. La première avait privilégié une justice basée sur la peine de mort, et le second avait constaté le poids du fardeau de la responsabilité d'une communauté, confirmant le statut exceptionnel de Rick Grimes en tant que chef. Les actions des Chuchoteurs avaient réduit la marge de manoeuvre de Rick Grimes, quasiment à zéro. le lecteur peut être partagé sur la consistance du message politique de Robert Kirkman, mais il reconnaît son existence.

Le scénariste a montré à maintes reprises en quoi Rick Grimes est l'homme de la situation, le meneur providentiel. En cela il reprend l'une des conventions du roman : un personnage central autour de qui tout gravite. le lecteur peut estimer qu'il est trop fort, ou trop perspicace, qu'il se remet trop facilement de tous les traumatismes, aussi bien physiques que psychologiques, mais ce n'est pas plus difficile à avaler que l'existence de zombies, et c'est une caractéristique du roman d'aventure. Ce tome rappelle que Rick grimes a assisté à l'effondrement de la civilisation du fait d'une épidémie, dont finalement Robert Kirkman n'insiste pas trop sur la signification, ne cherche pas à la transformer en métaphore. Grimes souhaite reconstruire une civilisation, progresser sur l'échelle de la civilisation, en tirant des leçons du passé. le lecteur se souvient que dans les premiers tomes, Rick avait dû faire le deuil d'une de ses convictions : ne jamais exécuter un adversaire. À partir du tome 22 de la série, il avait pu à nouveau se permettre le luxe de ce principe, avec un vrai prix à payer, celui de ne pas sacrifier à la vindicte populaire et de devoir défendre sa position impopulaire. Face à la décision de Maggie Greene mise à exécution dans le tome précédent, il doit réaffirmer son principe avec vigueur, quitte à subir des coups physiques. Certes le lecteur peut chipoter sur l'absence de détails quant à cette politique inclusive, mais ce n'est pas le premier venu que Rick Grimes a épargné, et il n'hésite pas à donner l'exemple encore une fois dans ce tome.

Dans le même temps, il est vrai que le mode de gouvernance de Rick Grimes n'est pas toujours assez fouillé. Malgré tout, les différentes communautés continuent de vivre en état d'urgence, avec une concentration des pouvoirs dans sa personne. de manière sous-jacente, l'ensemble des habitants des différents sites continuent d'être unis par la menace que sont les zombies, un ennemi commun à l'ensemble de la population. En termes de modèle politique, le lecteur constate également que Rick Grimes impose ses valeurs morales, essentiellement l'abolition de la peine de mort, et qu'en temps de crise (comme dans ce tome) tout le monde se tourne vers lui pour trouver une solution et prendre une décision. le danger justifie la concentration des pouvoirs, même si une partie de la population souhaite imposer la marche à suivre, à savoir une expédition punitive. Pourtant même sans trop rentrer dans les détails du fonctionnement de la gouvernance, Kirkman arrive à mettre en scène la notion de l'intérêt de la communauté comme devant être placé avant celui du particulier, et la nécessité du temps de réflexion avant le temps de l'action.

Robert Kirkman augmente encore la dimension politique lorsque Rick Grimes prend un conseiller officieux, un tacticien hors pair qui lui indique comment se sortir d'une impasse en jouant sur un antagonisme entre la communauté et les chuchoteurs, dans une démarche qui relève de la manipulation. Ce n'est pas la première fois que Rick Grimes se retrouve à ne pas tout dire, à ne pas agir en toute transparence, pour ce que l'on peut qualifier de raison d'état. La fois précédente correspondait à la mission d'espionnage de Paul Monroe pour trouver le camp de Negan. Or, du fait de l'identité de ce conseiller, le scénariste entremêle de manière indissoluble la dimension politique du récit, avec la fibre affective. de temps en temps, le lecteur peut avoir l'impression que l'auteur déplace ses personnages comme des pions sur un échiquier pour les besoins de l'intrigue, mais sans qu'ils se comportent de manière aberrante. En responsable conscient, Rick Grimes demande l'avis et même le conseil d'un individu qui lui a causé beaucoup de torts, passant outre ses griefs personnels, au profit de l'intérêt commun. de son côté, le conseiller se montre motivé malgré sa position, tout en conservant toute sa superbe. le lecteur éprouve un profond respect vis-à-vis de Rick Grimes à le voir ainsi prendre sur lui, et il se retrouve très inquiet du sourire qui apparaît sur le visage du conseiller.

Comme d'habitude, le lecteur se retrouve vite complètement emporté par l'intrigue, ne prêtant pas grande attention aux dessins, si ce n'est pour ceux en pleine page, ou lorsque la narration visuelle l'emporte sur les dialogues. Or, comme à chaque fois, aussi discrète soit-elle, la narration visuelle raconte une grande partie de l'histoire. Dès la première scène, le regard mort d'un des personnages récurrents de la série est quasiment insoutenable. le geste mécanique pour transpercer son cerveau afin qu'il ne revienne pas est aussi efficace que terrible, dans le sens où il entérine la mort de ce personnage. La situation de conflit larvé génère une forte tension dans les différentes communautés, et Adlard & Gaudiano savent faire apparaître cette tension dans les postures des individus, dans leurs gestes secs et soudains, ainsi que dans les expressions torturées des visages. À nouveau, l'artiste tire le meilleur parti de sa propension à exagérer les émotions pour les rendre plus vivaces, avec des visages ravagés reflétant la force de la rage, de la douleur, de l'inquiétude, du doute, de la résignation. Il n'y a que la rivière de larmes qui s'écoule des yeux d'Alpha qui semble surjouée.

Les qualités de dessinateur d'Adlard ne se limitent pas aux expressions des visages. En y prêtant attention, le lecteur se rend compte qu'il soigne également de plus en plus ses arrière-plans, certainement grâce à l'aide apportée par l'encreur Stefano Gaudiano. Certaines séquences continuent de bénéficier du fait qu'elles se déroulent en extérieur avec une flore peu abondante, ce qui permet au dessinateur de ne pas passer trop de temps à la représenter. Il en va tout autrement pour les scènes d'intérieur, ou même celle d'extérieur mais dans l'enceinte de la zone d'Alexandria, où les bâtiments, ainsi que les cheminements sont se sont étoffés, et l'agencement des pièces des maisons. Les tenues vestimentaires restent assez simples, en cohérence avec le fait que cette civilisation n'en est pas encore au stade industriel. le lecteur se demande même comment les personnages récupèrent des ceintures en cuir, vu qu'il n'y a pas race d'élevage ou de tannage.

Le lecteur retrouve également la capacité de Charlie Adlard à concevoir un plan de prise de vue saisissant, tirant le meilleur parti du potentiel visuel d'une scène. Il y a donc ces 4 pages composées chacune de 3 cases verticales, faisant ressentir le sentiment de perte ressenti par les proches des individus exécutés. le lecteur observe avec précaution l'approche silencieuse d'un personnage s'introduisant subrepticement de nuit dans une maison, jetant des regards autour de lui au fur et à mesure de sa progression. le jeu d'acteurs lors du face à face entre Rick Grimes et son prisonnier est incroyable, malgré le décor dépouillé (des barreaux et 2 chaises), le lecteur pouvant voir l'évolution de qui a le dessus psychologique sur l'autre, comme s'il s'agissait d'un flux d'énergie devenu visible. Bien sûr, Adlard n'a rien perdu de sa capacité à en mettre plein la vue du lecteur, que ce soit lors du baiser inattendu que donne Laura à Dwight, ou lorsqu'un personnage en mord un autre au cou, même si ce n'est pas la première fois qu'il assiste à une telle scène.

Après la scène choc en fin du tome précédent, le lecteur sait très bien que les auteurs vont faire monter la pression jusqu'à un affrontement meurtrier. Pourtant il est pris par surprise, par la force des émotions engendrées par cette situation, très bien transmise par le jeu des acteurs. Il découvre également que Robert Kirkman ne refait pas une version affadie de la précédente confrontation de grande ampleur contre les Sauveurs. L'enjeu idéologique et politique a complètement changé et la position de Rick Grimes au sein de la communauté aussi. La conviction de Rick Grimes ne suffit pas à l'emporter, et il doit user des trucs et astuces du politicien pour sauvegarder l'intérêt commun. Les auteurs réussissent le tour de passe-passe d'un suspense total, alors même que les zombies n'apparaissent pas dans ce tome. Encore un tour de force.
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