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Critique de Oliv


Une fois n'est pas coutume, j'ai entamé la lecture de ce roman sans avoir consulté la moindre critique au préalable. Je savais donc très peu de choses à son sujet, hormis qu'il était précédé d'une réputation flatteuse (Grand Prix de l'Imaginaire en 2014 notamment) et que ses ingrédients principaux devaient fatalement provoquer notre rencontre un jour ou l'autre : Europe de l'Est médiévale et Imaginaire sur fond d'opposition entre paganisme et christianisme, comment résister ? Si je suis entré dans l'univers d'Andrus Kivirähk avec une certaine circonspection, j'en ressors littéralement enchanté. "L'homme qui savait la langue des serpents" est assurément l'une de mes plus belles découvertes de cette année, le type de lecture dont on sait qu'elle restera longtemps en mémoire.

Le roman est impossible à résumer, d'ailleurs l'entreprise serait assez vaine. Pour se faire une idée, il suffit de savoir qu'on y croise, entre autres, un couple d'éleveurs de poux dont le plus beau spécimen atteint la taille d'un chevreuil ; des ours libidineux recherchant la compagnie des femmes humaines jusqu'à se mettre en ménage avec elles ; un grand-père cul-de-jatte doté de crocs venimeux ; un gigantesque poisson à longue barbe dormant depuis des siècles au fond des mers ; des hordes de loups que l'on chevauche pour aller guerroyer contre les "hommes de fer" envahissant l'Estonie ; une mythique Salamandre cachée sous terre ; et bien sûr des serpents avec lesquels certaines personnes ont le pouvoir de parler... Le récit prend tour à tour des allures de fable, de conte philosophique, de saga nordique, de roman picaresque. L'écriture d'Andrus Kivirähk est pleine d'inventivité, de facétie, d'humour, ce qui n'empêche pas une bonne dose de noirceur, de violence et de cruauté. Et si les péripéties sont nombreuses tout au long de ces 450 pages, il ne faut pas forcément s'attendre à une succession d'événements très spectaculaires. Quitter sa forêt pour aller au village et goûter à ces étranges mets nommés "pain" et "vin", c'est déjà toute une aventure !

Il faut saluer le travail du traducteur, qui nous propose une postface d'un grand intérêt. Jean-Pierre Minaudier ne surinterprète pas le texte de manière pédante comme c'est souvent le cas dans ce genre d'exercice. Au contraire, il nous donne quelques clefs de compréhension fort bienvenues, liées au contexte historique et culturel de l'Estonie, tout en insistant sur l'une des idées essentielles développées dans le roman : si son narrateur est un homme de la forêt confronté à la disparition de son mode de vie traditionnel, Andrus Kivirähk ne cède pas pour autant à un discours rétrograde de type "c'était mieux avant". La course effrénée au prétendu progrès, l'imitation des modes venues de l'étranger (Jésus-Christ l'idole des jeunes !) sont des lubies ridicules, mais ceux qui s'accrochent de toute force à un passé révolu ne valent guère mieux. Païens et chrétiens, réactionnaires et progressistes, sont finalement renvoyés dos à dos.

"L'homme qui savait la langue des serpents" a été publié en français par un éditeur généraliste et son auteur ne vient pas montrer sa trogne chaque printemps aux Imaginales, pourtant on a bel et bien affaire à un authentique roman de fantasy. Il est à recommander chaudement aux habitués du genre, qui y retrouveront la magie et l'émerveillement qu'ils recherchent dans leurs lectures (avec en prime un dépaysement bien supérieur à la production anglo-saxonne courante) mais aussi à tous ceux qui ont de lourds a priori envers la fantasy : non, celle-ci ne se limite pas à l'image préconçue que vous en avez... Quant aux critiques de grands journaux, si prompts d'ordinaire à toiser avec dédain les "littératures de genre" mais dont l'enthousiasme s'affiche cette fois en quatrième de couverture : félicitations, vous avez lu et aimé un roman de fantasy, et parler de "réalisme magique" n'y changera rien !
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