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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


" le lecteur sait déjà que je suis fou... "

Au moins, Hellmut Sternenhoch ne sous-estime pas son lecteur.
Et le lecteur ne devrait pas sous-estimer Ladislav Klima. Certains appellent cet auteur décadent "le seul véritable philosophe tchèque" - hmm... il y a bien quelque chose ! En tout cas, c'est le seul qui a essayé de mettre la philosophie nietzschéenne en pratique; mais contrairement à Nietzsche, Klima n'avait pas les moyens nécessaires, et il a souvent géré les obstacles dans sa quête de l'absolu par des litres de rhum et d'alcool à 100%.

le sous-titre des "Souffrances" est "Romaneto gotesque". le terme "romaneto" était inventé à la "belle époque" par un autre écrivain tchèque qui tombe lentement dans les oubliettes - Jakub Arbes - et il désigne une courte nouvelle avec des éléments fantastiques et mystérieux, qui sont expliqués à la fin d'une façon tout à fait naturelle.
Mais je pense que Klima se fichait éperdument que l'on qualifie son roman d'un romaneto ou d'autre chose. Je pense qu'il s'en fichait, si cette histoire aberrante, hilarante, immonde et terrifiante - sur un fond pesant de la philosophie nihiliste de Nietzsche et de Schopenhauer - choque le lecteur bourgeois, et le fait recracher son petit cognac après son oie rôtie dominicale.

Certes, c'est monstrueux et ça sent la putréfaction; mais c'est aussi monstrueusement drôle...
"Les souffrances..." sont un journal fictif d'Hellmut Sternenhoch, l'un des nobles les plus puissants du pays, qui aurait pu "sans doute devenir le successeur de Bismarck"... si le destin n'avait pas placé sur son chemin le personnage démoniaque d'Helga, la Reine des Enfers.
Helga, moche et bête, est l'un des caractères féminins les plus répugnants qui existent dans le monde littéraire. Elle réussit à envoûter Hellmut, et après leur mariage elle se transforme en magnifique et cruelle créature empreinte de la doctrine nihiliste. Devenir d'abord Rien pour devenir le Tout ! La vie devient alors une suite des débauches, de la haine mutuelle et d'abhorration totale de ce qui est humain.

Mais Hellmut craque, et il La tue... du moins, il pense de l'avoir tuée, parce que couard comme il est, il manque de courage pour aller vérifier dans le cachot où il a jeté le corps.
Et Helga revient pour le hanter - la nuit, assise sur l'armoire, au milieu d'une fête, lors des promenades dans le parc - elle raconte à Hellmut les mille souffrances qu'elle est en train de subir en Enfer, et qui ne font que la rendre encore plus forte.
Hellmut donnerait tout pour se débarrasser des ces hallucinations; mais sont-ce les symptômes de la folie, ou Helga a-t-elle vraiment réussi à sortir de son cachot, comme elle l'affirme ?
Les doutes sont infernaux !

Klima distille l'humour noir à petites doses, mais les consultations des éminents médecins de Vienne, ou sa visite chez la voyante Kuhmist qui lui confie une "noix magique", le bien nommé "Podex Romanus" accompagné d'une formule (et quelle formule !) pour conjurer ses visions - tout ça arrive à l'improviste, et vous arrache le diaphragme ! Tout comme la visite d'Hellmut chez l'Empereur Wilhelm.
Jusqu'au bout, on n'a pas la moindre idée ce qui se passe vraiment - hallucinations ou réalité ?
Vous ne devinerez jamais ce qui est arrivé dans ce cachot du sombre et gothique château de Rattentempl; et je mets quiconque au défi de me dire ce qui contenait vraiment le "Podex Romanus" !

Malheureusement, je ne sais pas ce qui vaut la traduction française. J'ai lu le livre dans sa version originale, qui reprend pieusement la syntaxe spéciale de Klima et ses participes archaïsants, ce qui fait en grosse partie le charme du roman. Les grossièretés résolument modernes ponctuent ce "noble langage", et l'ensemble en devient d'autant plus... comique ?
Un peu de folie de ce gabarit ne peut faire que du bien.
J'enlève cependant une étoile; je n'ai jamais pu m'identifier aux longues logorrhées nihilistes d'Helga, j'ai toujours trouvé ça fatigant...
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