Dans la grande salle enfumée, une jeune femme de vingt ans s’anime au rythme de la musique, une bière à la main. De l’autre elle retient la masse de ses boucles blondes du côté droit de sa nuque, dans un chignon éphémère qu’elle refait sans cesse. Si son buste gracile est celui d’une danseuse, elle a conservé de l’adolescence des mouvements gauches, une posture parfois empruntée et un regard qui oscille entre la joie et le désenchantement.
La joie est là. Elle est étourdissante. Elle me prend tout entière. Mais la fusion, elle, est ratée. Elle échoue à chaque fois. Vos sourires, vos rires, vos cris m’enchantent, me réjouissent. Mais ils ne me remplissent pas. Ils ne comblent pas ce vide en moi. Vous finissez par vous lasser, par vous échapper.
La sexualité implique exactement l’inverse. Le désir humidifie, les souffles embuent. Les corps transpirent, se mouillent, trempent l’un dans l’autre. Le plaisir est fluide.
lui semble que la fonction maternelle et celle de l’amante sont contradictoires. Antinomiques . Qu’elles appartiennent à deux sphères distinctes, qui s’interdisent toute intersection.
« La mère suffisamment bonne » est une mère qui n’en fait pas trop, qui n’étouffe pas son enfant en comblant tous ses désirs, une mère qui laisse la place au manque et à l’insatisfaction.
Ophélie est prise d’un vertige. Le passé a surgi déformé. Elle ne reconnaît rien de ce qu’elle a laissé. Le professeur Weber va bientôt partir. Alexis est devenu son collègue. Le poste universitaire qu’elle convoite n’est plus acquis.
C’est un homme de science, parfois lunaire et souvent maladroit, bon avec les concepts et moins avec les gens. Il n’intervient que rarement dans la gestion de son équipe, qu’il délègue à son adjointe. Il préfère l’écriture d’articles scientifiques, la direction d’essais cliniques, l’obtention de molécules thérapeutiques innovantes.
Jules, mon Jules, ne me juge pas. C’est comme ça aujourd’hui. C’est obligatoire de retourner travailler. D’exercer son métier. Il faut se réaliser. Progresser en hiérarchie. Gagner sa vie. Être indépendante, si c’est seulement possible. Si ça veut dire quelque chose. Ça ne se fait plus tellement, de mettre sa vie de côté pour élever des enfants. On dit qu’il ne faut rien sacrifier, que plus tard on peut le regretter.
Hommes et femmes masqués envahissent la pièce. Le col est ouvert, il faut pousser au-dehors ce petit morceau de chair, l’aider à prendre une première indépendance. Il n’y a plus le choix. L’accouchement n’a qu’un sens. Celui du dehors.