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Critique de HundredDreams


« C'est parti ! En route pour l'enfer ! »

Il existe des livres qui ont des résonances particulières et celui-ci en fait parti. Tout au long de ma lecture, j'ai pensé à son auteur, Kobayashi Takuji, mort en 1933 à l'âge de 29 ans, torturé par la police pour ses convictions politiques.
En lisant ce livre qui ressemble davantage à un récit documentaire qu'à une fiction romanesque, un sentiment de malaise et de dégoût m'a submergée. Cette histoire est horrible et affreusement sinistre.
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Les bateaux-usine étaient des épaves laissées à l'abandon de nombreuses années avant d'être revendues « telles des prostituées syphilitiques dissimulant habilement leurs disgrâces sous d'épais fards ».
Dans les années 1920, des hommes embarquaient sur ces immenses bateaux-usines pour de longs mois de pêche dans les eaux glaciales de la Mer du Kamtchaka.
Ce roman décrit et dénonce les conditions de vie misérables, inhumaines, intolérables de ces hommes employés à mettre en conserve du crabe, produit de luxe destiné à l'exportation pour un salaire de misère.
« Dans la pénombre, des hommes grouillaient comme des porcs. A l'odeur aussi, une odeur à faire vomir, on se serait cru dans une soue. »
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Ils sont pauvres, souvent d'anciens paysans, travailleurs miniers, terrassiers sur les chantiers de construction de routes ou de voies de chemin de fer, ou étudiants désargentés.
Une vie rude les attend comme pêcheur, marin, machiniste ou matelot.
Ils n'ont pas de nom. Ils ne sont rien.
Leur vie ne compte pas.
Seul compte le profit.

Sur des bateaux-épaves, ils affrontent le froid, les tempêtes, des cadences de travail infernales qui épuisent les corps, la maladie, la faim, la promiscuité, les châtiments corporels, les agressions sexuelles, les humiliations, le manque d'hygiène, la pestilence de leur dortoir.
« Notre corps, c'est rien de plus que des feuilles de mûrier pour nourrir les vers à soie, il faut qu'il soit sacrifié ! »

La mort les accompagne.
« - Est-ce qu'on ne pourrait pas le ramener à Hakodate, quand même… Regardez la tête qu'il a ! On dirait qu'il veut nous dire « J'veux pas y aller, me faites pas plonger dans l'eau glacée de la mer… » Même morts, on est pas bien lotis, nous autres… »
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Kobayashi Takuji décrit avec justesse et précision la vie de ces hommes, leurs conditions de travail dégradantes, le danger permanent, l'ambiance délétère, mais il se dégage également un esprit de solidarité et d'unité.

Le style est très descriptif, direct, froid. Mais aussi, contrairement à ce que l'on pourrait penser, j'y ai trouvé une écriture poétique. Chaque page s'imprègne de colère, de ressentiment face à l'exploitation humaine. Il s'en dégage beaucoup de force et d'authenticité.
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Ce roman est un récit engagé issu du courant de la littérature prolétarienne et censuré à sa parution en 1929. Tombé dans l'oubli pendant des décennies, ce roman a trouvé une seconde jeunesse grâce à la sortie d'une adaptation en roman graphique.
Après les superbes critiques de HordeduContrevent et LaBiblidOnee qui m'ont convaincue de lire ce petit livre d'environ 150 pages, c'est à mon tour de vous encourager à le lire.
« le bateau-usine » est une lecture dure, révoltante, mais importante.
Un livre rare et précieux.
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