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Critique de HordeDuContrevent


« Combien les enfants peuvent souffrir à cause de leurs parents, et les parents à cause de leurs enfants »

Énorme coup de coeur pour cette pépite hongroise écrite en 1923 par Deszö Kosztolànyi…Mais quelle merveille, quelle écriture ciselée et riche, et quelle histoire surprenante ! Je l'ai lu d'une traite tant j'étais transportée à Sarszeg, cette petite ville de province, où se déroule l'action.

C'est l'histoire d'une famille hongroise, en 1899, composée d'un père et d'une mère plus très jeunes, presque sexagénaires, ce qui en Hongrie à cette époque est un âge déjà avancé, et de leur fille Alouette, surnom « qui ne s'était plus détaché d'elle. Elle le portait comme un vêtement d'enfant pour lequel elle était devenue trop grande ». Car Alouette n'est plus une petite fille mais une femme âgée de trente-cinq ans….Une vieille fille. Il faut dire qu'Alouette n'a de joli que son surnom. Oui, Alouette est un laideron qui, de plus, vieillit, se flétrie réduisant d'année en année ses espoirs de mariage. Les parents l'aiment d'un amour tendre mais, encore aujourd'hui, ils leur arrivent de regarder avec étonnement « ce visage à la fois gras et maigre, ce nez charnu, ces larges narines chevalines, ces sourcils d'une austère virilité, ces minuscules yeux vitreux ». Cette malédiction vient entacher leur bonheur, subrepticement, par petites touches délicates, en pensées fulgurantes jamais extériorisées.

« Sous le flot de lumière rose du parasol, dans cet éclairage presque théâtral, la chose apparaissait enfin dans toute sa vérité. Une chenille sous un buisson de roses, a-t-il pensé ».

Nous sommes tout d'abord très surpris par cette petite famille qui vit complètement en vase clos, repliée sur elle-même, ne se séparant jamais, aux rituels immuables rythmant leurs journées : Ménage le matin, repas mitonnés aux petits oignons, crochet pour faire de jolis napperons, puis petite balade dans les rues de traverse où il n'y a personne, la fille toujours positionnée entre son père et sa mère. Là tout est ordre, calme mais sans volupté. La famille Vajkay est une famille sans perspective, qui ne sort jamais et ne rencontre personne, l'essentiel de son temps est consacré aux travaux ménagers de la maison.
On pressent que la laideur de leur fille les a peu à peu détournés de la société, las des moqueries et des regards étranges sans doute, comme certains passages le laissent supposer, tout en retenue. Leur vie percluse d'habitudes dont on ne se détourne jamais, à l'horizon bouché les a rendus gris, vieux avant l'heure, petits. Etriqués. Mais un solide amour semble les unir…Amour qui s'avère même être grandiloquent au point d'en être ridicule. Ainsi le départ d'Alouette pour la campagne à Tarkö où elle est invitée par son oncle pour prendre l'air et se reposer, première séparation d'avec les parents, est-il entouré de gravité et de larmes, comme si Alouette partait pour longtemps alors qu'elle ne part que pour une semaine. Une petite semaine.

« - Que Dieu soit avec toi, ma fille, a dit Akos en rassemblant ses forces, résolument, virilement, pour conclure. Que Dieu soit avec toi, et fais bien attention ma fille.
-Alouette, a crié en mâchonnant son mouchoir la mère qui s'était remise à pleurer, ma petite fille, oh que les jours vont être longs !
C'est alors seulement que Alouette a parlé.
-Mais je reviens vendredi, vendredi prochain, dans une semaine ».

Alouette partie, nous pensons de prime abord que nous allons voir enfin la jeune femme prendre son envol, découvrir ses pérégrinations bucoliques, ses déambulations campagnardes, et pourquoi pas être témoin d'un amour naissant avec un bon campagnard hongrois qui saura voir sa bonté d'âme au-delà de son faciès et de sa silhouette disgracieuse. Mais pas du tout, et c'est là que Deszö Kosztolànyi tape fort : il va se focaliser sur les parents…mais non sur leur impatience, leur douleur, leurs angoisses comme le début du livre peut le laisser penser. Les parents, durant cette semaine sans leur fille, vont faire ce qu'ils n'avaient jamais fait alors, ou du moins depuis très longtemps, à savoir manger au restaurant, passer une soirée au théâtre, prendre le temps, laisser la maison sans la briquer du matin au soir et même, pour le père, passer une nuit de beuverie au fameux banquet des Guépards…oubliant presque leur fille.
C'est truculent de voir la façon dont l'auteur décrit le processus faisant de cette semaine, une semaine à la hue et à la dia, au coeur du tourbillon social de la petite bourgeoisie de Province, milieu social que l'auteur décrit d'ailleurs avec une rigueur, une exactitude, un réalisme formidable…une semaine durant laquelle ils vont reprendre des couleurs, riant, se permettant quelques dépenses, mangeant de nouveaux plats au restaurant, jouant aux jeux, fumant et surtout buvant plus que de raison. Jusqu'au retour de la petite, toujours de sa démarche dandinante.
La vie alors va reprendre son cours, rien ne va changer nous le devinons mais tout aura été révélé jusqu'au plus intime, au plus secret, au plus profond, des révélations qui viennent du coeur, des tripes. le balancier des couleurs, gris/explosion de couleur/gris de nouveau, est superbement employé de façon toute symbolique…Comme si Alouette portait en elle les couleurs du malheur, de son propre malheur, un peu à l'image de son miroir dans sa chambre accroché dans le coin le plus obscur, le coin nord, près de la porte…Cette semaine « extraordinaire » aura introduit une brèche, vite refermée et pourtant quelque chose s'est immiscée dans cette brèche. Une forme de lucidité.

Comme nous l'explique l'intéressante préface du livre, Kosztolanyi avait une soeur laide qui n'a jamais pu se marier, est-ce elle qui l'a inspiré ? de même, s'est-il sans doute inspiré de l'existence provinciale qu'il a connu enfant pour écrire Alouette, oeuvre que lui-même considérera comme son plus grand roman qui, de fait, compte parmi les classiques de la littérature hongroise.

Il faut dire qu'au-delà de cette histoire assez étonnante, à la fois simple et banale et pourtant délicieusement attachante, l'écriture est magnifique, pointilliste, ciselée, du travail d'orfèvre dans lequel les métaphores, les comparaisons, sont amenées avec brio. Les descriptions sont élégantes et précises. Cette écriture se déguste. Pour ma part je voyais des tableaux, parfois bucoliques, parfois urbains et sociaux…ce livre m'a donné l'impression d'un livre d'images précieuses.

« Ils sont sortis. Sur eux s'est abattue, étouffante, une sorte de chaleur dorée. de gracieux petits chats blancs se promenaient sur le gazon émeraude. Près du puits, il y avait un seau plein d'eau avec des verres dedans, et l'eau était toute irisée par les reflets du verre. Un tournesol, tige inclinée, levait son visage amoureux du soleil… »

Oui, j'ai éprouvé un très gros coup de coeur pour ce livre, je remercie @Spleen pour sa convaincante et belle critique grâce à laquelle j'ai découvert ce livre et cet auteur totalement inconnus pour moi ! Encore la magie de Babelio !
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