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Critique de Erik35


QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE UN PINGOUIN...?

Posée ainsi - et paraphrasant la blague de feu le regretté Coluche -, la question est aussi absurde qu'insensée, mais c'est pourtant d'une manière assez similaire que Victor, un écrivain raté, journaliste ukrainien et de second plan, au chômage, va se retrouver heureux possesseur d'un exemplaire d'un de ces volatiles des grands froids polaires (pour être exact, le Pingouin de cette histoire est en réalité un Manchot, mais la confusion est de plus en plus répandue et banalisée). Nous sommes à Kiev au début des années 90, en compagnie de ce Victor et de Micha - c'est ainsi que l'animal s'appelle -, ce dernier est neurasthénique et cardiaque, la mafia gangrène presque tout le jeune pays, émergeant dans la douleur de plus d'un demi-siècle de lendemain qui vont chanter soviétiques, les profiteurs, politiciens, artistes et autres gogos de tout acabit sont saisis d'une frénésie de dollars, de signe extérieurs de réussite et de luxe tapageur, ça défouraille à tout va et il ne fait pas bon être un politicien devenu trop puissant ou tombé en disgrâce. Mais rassurez-vous : tout va bien, surtout en compagnie d'un pingouin !

Et puis, il y a surtout cette offre d'emploi pour le moins particulière : la rédaction pour un grand journal de nécrologies de personnalités publiques qui ne sont cependant pas encore mortes... Victor accepte sans trop se faire prier mais, on s'en doute, il se voit rapidement plongé dans des histoires de mafia, de politique et de voyage vers l'Antarctique qui le dépassent plus ou moins totalement mais sur lesquelles il semblent surnager sans jamais se laisser départir de son flegme et de sa gentille déprime existentielle.

Roman assez bref, celui-ci n'en adopte pas moins un rythme trompeur et assez lent -de plus en plus au fur et à mesure de la lecture -, décalé, ou rien ne se passe bien que tout y change tout le temps, mais par touches inattendues, sans vraiment crier gare. Victor, qui n'est pas exactement un personnage des plus courants, qui traîne sur lui une espèce d'insaisissable ennui, de regard sans surprise sur des événements pourtant souvent assez incompréhensibles ou extraordinaires, tel un Oblomov de la modernité grise, ne va cesser d'en croiser d'autres - auxquels on s'attache assez peu, mais là n'est pas, semble-t-il, le but de l'auteur - tout aussi loufoques, bizarres, saugrenus, parfois vraisemblablement dangereux mais tellement piqués qu'on a du mal à ne pas avoir envie de rire - jaune - à suivre leurs pérégrinations.

Les rares personnages un peu plus humainement attachants sont les jeunes femmes décrites par Andreï Kourkov, même si l'on peut leur attribuer leur propre part d'extravagance.

Roman d'une certaine solitude, urbaine et contemporaine, de l'absence de sens à offrir à l'existence, dans cette Ukraine vendue à une sorte d'hyper-capitalisme tribal (ou les faibles, les déclassés et les rêveurs n'ont décidément plus leur place), le Pingouin nous plonge avec son humour loufoque autant que négligemment désespéré - comme seuls les écrivains des pays de l'Est en sont capables - au coeur d'une de ces anciennes Républiques communistes devenue une manière de chaos vaguement organisé dans laquelle il ne fait bon vivre que pour une microscopique minorité. Dommage que la nonchalance imposée par la rythmique de cette écriture pourtant subtile et sûre plonge, surtout en milieu de texte, le lecteur dans les rets d'un endormissement possible. Un peu plus de vivacité n'eut pas nuit, bien qu'à tout prendre, l'ensemble demeure aussi agréable que convaincant. Une oeuvre satirique plus burlesque qu'immédiatement désopilante d'un auteur à découvrir, assurément.
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