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Critique de Amnezik666


Avant de m'attaquer au fond de l'histoire, et quel fond puisqu'il s'agit de ni plus ni moins de 70 ans d'Histoire au cours desquels l'Europe et le monde ont connu de profonds bouleversements ; je souhaiterai dire quelques mots sur la forme. Ce bouquin est tout simplement divinement écrit, pour son premier roman traduit en français Chris Kraus signe une oeuvre audacieuse (pas loin de 900 pages) qu'il maîtrise de bout en bout, sa plume est un régal pour les yeux (il parvient même parfois à sublimer l'horreur et le tragique de certaines situations, ou, à contrario à les restituer froidement). de fait je ne peux que m'incliner devant le formidable travail de la traductrice, Rose Labourie, qui su retranscrire toutes ces émotions et toute la magie des mots à l'attention des lecteurs français.

Il m'aura fallu pas loin de trois semaines pour venir à bout de ces 900 pages, délai qui n'est pas à imputer à la qualité du récit mais bel et bien à un emploi du temps professionnel surchargé qui faisait qu'en rentrant du taf je n'avais envie de penser à rien. Or ce roman n'est pas vraiment une lecture vide tête, loin s'en faut ! Les neurones turbinent à fond au fil des pages…

Il est facile de juger rétrospectivement, confortablement vautré dans son canapé ; mais qui peut en toute sincérité affirmer qu'en son âme et conscience, dans les mêmes conditions, il n'aurait pas fait les mêmes choix que Koja, ou Hub Solm ? Pour ma part je préfère me réfléchir aux paroles de Jean-Jacques Goldman plutôt que de dispenser des leçons de morale à deux balles :

Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt / Sur les ruines d'un champ de bataille / Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens / Si j'avais été allemand ?

N'allez surtout pas croire que je cherche à excuser, ni même à minimiser les horreurs du régime nazi. Une telle abomination est et restera à jamais inexcusable, mais l'esprit humain est une mécanique complexe qui peut nous pousser à faire passer l'instinct de survie avant le sens moral.

La Fabrique Des Salauds n'est pas un énième roman sur la seconde guerre mondiale, même si le conflit reste le fil rouge de l'intrigue, c'est plutôt les années d'après-guerre qui donne corps au récit et à l'histoire que nous narre Koja Solm. Avec en point de mire la surprenante facilité avec laquelle l'Allemagne d'après-guerre a su recycler nombre de ses anciens dignitaires nazis.

Un narrateur au parcours peu commun puisqu'après son enrôlement au sein de la SS il visitera les geôles des services secrets russes avant d'être « retourné » par le KGB, puis mettra son savoir au service du BND (les services secrets allemands), de la CIA et du Mossad. Parfois même en revêtant une double, voire une triple, casquette avec souvent des intérêts totalement contradictoires (les uns veulent protéger les anciens nazis alors que les autres cherchent à les démasquer et à les traduire en justice).

Koja Solm lui même se retrouvera plus d'une fois le cul entre deux chaises, d'un côté il doit se protéger et cacher (ou minimiser) ses anciennes fonctions dans la SS, de l'autre répondre aux attentes de ses employeurs et enfin se venger de son frère en le faisant tomber sans que celui-ci ne l'entraîne dans sa chute.

Une lecture éprouvante moralement et nerveusement (ce qui explique aussi le temps mis pour achever le roman), au-delà des actes eux-mêmes c'est le ton du narrateur qui est dérangeant. Il relate les faits avec froideur et en cherchant toujours à mettre une certaine distance entre l'acte et sa propre responsabilité. Au lieu d'éprouver des remords, il va plutôt chercher à se faire passer pour une victime. Ce déni permanent et cette lâcheté m'ont dérangé plus d'une fois ; difficile, pour ne pas dire impossible, dans ces conditions d'éprouver un semblant d'empathie pour le personnage de Koja Solm. Et pourtant parfois on aurait presque envie de le croire !

Chris Kraus mêle adroitement Histoire et fiction, n'hésitant pas à faire intervenir dans son intrigue des personnages ayant réellement existés. Difficile de deviner où s'arrête la réalité historique et où commence l'imaginaire de l'auteur ; d'autant qu'il nous prévient dans son avant-propos, les événements les plus incroyables (ou les plus improbables) ne sont forcément fictifs.

Un bouquin qui vous prend aux tripes, à savourer lentement pour apprécier pleinement tout son potentiel. Clairement pas une lecture qui vous redonnera foi au genre humain !

L'auteur a récemment déclaré qu'il trouvait le titre français de son roman très bien trouvé pour son côté cash avec un brin de provocation ; le titre original Das Kalt Bulte pouvant en effet se traduire par le Sang Froid, certes adapté mais nettement plus sage que La Fabrique Des Salauds.
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