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Critique de Soleney


En feuilletant ce livre, je me suis rendue compte que ce n'était pas un simple roman de SF. C'est un dossier au sens propre du terme, qui rassemble des documents classés par date : des mails, des données statistiques, des compte-rendus de réunion, des rapports de mission, des enregistrements d'entretien, de la messagerie instantanée…
C'était suffisamment osé pour attirer mon attention.

Pour résumer : après la destruction pure et simple de leur colonie (qui extrayait illégalement un minerai rare pour le compte d'une entreprise multimondiale), Kady, Ezra ainsi que tous les survivants s'enfuient à bord de trois vaisseaux : deux civils qui leur appartenaient, et un militaire, qui passait dans le coin et a accouru en entendant leur appel de détresse. Lesdits vaisseaux ont subi des dégâts, ils sont poursuivis par leurs ennemis (à la solde d'une entreprise concurrente), ils doivent absolument se ravitailler en eau et l'intelligence artificielle du vaisseau militaire devient folle. La situation est très grave, et c'est pourquoi les gradés refusent d'en dire trop. Malheureusement pour eux, Kady est une experte en informatique, elle sait qu'ils cachent des choses et elle est déterminée à savoir quoi. Mais plus le temps passe, plus la situation dégénère…

Malgré tous ces détails qui titillaient mon intérêt, la première impression fut un peu mauvaise. Tout commence un jour après la destruction de la colonie de Kerenza. Kady et Ezra viennent tout juste de voir les trois quarts de leurs proches mourir, et lors de l'entretien psychologique qui ouvre le livre, ils sont cassants, rebelles, goguenards, moqueurs – bref : en pleine crise d'adolescence. On ne voit aucun signe de traumatisme, de tristesse ou d'angoisse (de faiblesse) dans leurs propos. J'ai trouvé ça un peu fort de café et c'est ce qui m'a empêchée de m'attacher à eux.
D'autant plus que la relation qu'ils entretiennent m'a paru un peu bancale : au début, Kady déteste tellement Ezra qu'elle ne veut plus le voir, qu'il craint qu'elle essaye de l'écraser alors qu'elle est au volant d'une voiture, et qu'elle ne répond à aucun de ses messages pendant des mois. Soudain, elle décide de lui reparler après presque une demi-année sans aucune communication, et progressivement, ils redeviennent fous amoureux – sans jamais se revoir puisqu'ils ne sont pas sur le même vaisseau ! L'amourette m'a paru complètement fabriquée (forcée, même), et c'est dommage parce qu'une relation amicale m'aurait amplement suffi.

Toutefois, l'histoire est vraiment prenante : les documents, au lieu d'être rébarbatifs, sont très intéressants, et je me suis surprise plusieurs fois à poursuivre ma lecture beaucoup plus longtemps que prévu. Ils apportent toujours quelque chose : un nouveau point de vue sur une situation donnée (ex : la page Unipédia qui détaille de façon très objective le déroulement de l'attaque de la colonie et complète le récit d'Ezra et Kady, qui racontent de façon un peu décousu ce qui leur est arrivé), ou un nouvel élément (action, rebondissement, révélation…). On peut les voir plutôt comme de très courts chapitres que comme des dossiers.

L'autre avantage de ce livre, c'est qu'il aborde plusieurs problématiques qui nous poussent à réfléchir – et j'adore les romans qui font mûrir !
Pour commencer, il y a un message d'alerte sous-jacent à l'encontre des multinationales. Car ce ne sont pas des armées qui s'affrontent, pas plus que des États, ni mêmes des groupuscules extrémistes, mais des ENTREPRISES. Et toute cette violence n'est pas commise au nom d'une injure, d'un territoire ou d'un dieu, mais en celui du PROFIT, qui pèse décidément bien plus lourd dans la balance que la vie de milliers d'innocents. Ce qui me donne le vertige, c'est de songer qu'elles sont devenues suffisamment puissantes pour posséder non seulement des vaisseaux spatiaux DE GUERRE capables de réduire à néant la population de toute une planète, mais aussi des armes biochimiques terrifiantes, et une facilité déconcertante à contourner les lois.
Ensuite, les gradés militaires ont laissé la population dans l'ignorance dans le simple but de la protéger. L'intention est sincère et louable, mais la frontière est floue entre protection et contrôle… Dans le roman, la situation dégénère en partie à cause de ça – car certaines personnes (dont Kady) mettent leur nez un peu partout, dévoilent mensonges et omissions, et tous les civils crient au complot. le cercle de confiance est rompu et la panique s'étend effectivement dans la population – bien plus que s'ils avaient tout avoué depuis le début.
Puis il y a la question de l'humanité. AIDAN, l'intelligence artificielle endommagée, s'éveille à la conscience de soi et à la sensibilité. Partant de là, est-il encore une simple machine ou déjà un être vivant ? Faut-il nécessairement être organique pour être vivant ? Cette problématique m'a beaucoup inspirée : est-ce qu'AIDAN est encore en-dessous de l'humain du fait qu'il ne soit composé que de métal et de plastique ? Est-il son égal, car ayant accédé au même niveau de conscience que lui ? Ou bien lui est-il supérieur de par l'infini de son intelligence ? (Je précise que son cerveau fait la taille d'une ville, et que ça fait de lui un être une centaine de fois plus logique et rapide que toutes les cervelles humides et poisseuses (= nous) à bord).
Pour finir, les auteurs abordent la problématique de la traçabilité informatique. Car l'intégralité du dossier est composée de données supposées confidentielles que des hackers ont su retrouver. Qu'en déduire ? La protection de notre identité et de nos données personnelles est une illusion. Pour peu qu'une personne soit suffisamment experte ou maligne, elle sera capable de dresser le portrait de toute notre vie, car les protections dont nous pouvons nous entourer ont beaucoup (beaucoup !) de failles. C'est vertigineux, quand on y pense : même une conversation entre deux gradés est traçable.

Par certains côtés, Illuminae se rapproche du roman graphique. Ne soyez pas effrayés par la taille imposante de ce pavé, la présentation prend beaucoup de place. Un exemple : les combats spatiaux. Les auteurs ont choisi de prendre une photographie de l'espace, de mettre des lignes pointillées pour symboliser le parcours des vaisseaux, et d'y ajouter des conversations radio. Cela rend très bien l'ambiance, les sentiments d'urgence, de peur, la vitesse (car il est difficile de suivre les phrases des yeux). Ils sont allés encore plus loin lorsqu'ils font exploser la bombe – mais je ne vous en dit pas plus, je me contenterai de vous assurer que c'était très festif.

En bref, c'est un roman novateur qui m'a beaucoup plu. Je l'ai trouvé très bien construit, l'histoire est bien menée, les rebondissements sont crédibles et on finit – malgré tout – par s'attacher aux personnages et par les prendre en pitié. Moi, il m'a convaincue, et je me procurerai la suite avec grand plaisir.
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