J'étais petite, mais suffisamment grande pour ne plus avoir le droit d'être petite.
Je n'aime pas la langue allemande. L'allemand est ma langue maternelle. Ma mère ne parle pas l'allemand.
En délaissant ma langue d'enfant, je me suis délaissée moi-même.
Ma langue maternelle, je me la suis inculquée moi-même quand j'avais dix ans.
Près de vingt ans plus tard, mes mains ont grandi et je me sens toujours la même.
J'avais lu qu'on ne sentait plus rien une fois qu'on était mort. Ça me plaisait.
J'inventais des histoires à l'intention de mon moi adulte. Des histoires que je me figurais vraies. Je voulais plus tard pouvoir lire ces histoires et me rappeler d'une enfance heureuse. Quand j'écrivais ce qui s'était vraiment passé, je déchirais la feuille et la jetais à la poubelle.
Au bout d'un certain temps, j'ai fini par croire à mes mensonges. J'ai si souvent lui ces histoires qu'elles sont devenues mon passé.
Il ne m'est jamais arrivé de ne jamais être amoureuse. Le garçon qui le premier m'avait prêté son crayon, celui qui m'avait demandé comment je m'appelais, celui qui avait partagé son petit pain avec moi, celui dont toutes les filles étaient amoureuses. Plus tard, je suis tombée amoureuse de l'homme qui m'avait tenu la porte, de celui qui m'avait souhaité un joyeux anniversaire, de celui qui était mon meilleur ami, de celui qui m'avait dit que j'avais de beaux yeux, de celui qui portait une chemise bleu ciel, de celui qui était brillant, de celui qui m'avait emmené au restaurant, de celui qui m'avait conseillé un livre, de celui qui m'avait soudainement embrassé sur un banc public et de toute une série d'autres entre-temps. le plus souvent cependant, je gardais cela pour moi.
Je tomberai amoureuse de l'homme qui portera ses lunettes de travers, des lunettes derrière lesquelles se cacheront des yeux très bleus. Il oubliera sa monnaie partout,me dessinera, me déclarera sa flamme dans le train dès le troisième jour. Il m'embrassera.
"Les requérants d'asile sont des personnes qui ont déposé une demande d'asile en Suisse et font l'objet d'une procédure d'asile. Durant cette période, elles ont le droit de séjour en Suisse. Le titre de séjour des requérants d'asile est délivré pour une durée maximale des six mois qui ne peut toutefois excéder le délai de départ."
Dans notre cas, cette procédure d'asile a duré treize ans.
Treize ans sans quitter la Suisse.
Treize ans sans avoir de travail légal.
Treize ans avec la peur d'être expulsés.
Au bout de ces treize ans, j'étais devenue une femme et mes grands-parents étaient décédés.