La littérature américaine n'en finit pas de détricoter le rêve américain, accumulant au fil des pages les figures cabossées des laissé(e)s pour compte, des oublié(e)s. Il ne doit pas rester grand monde sur cette route du succès, tant les bas-côté sont surpeuplés par celles et ceux laissé(e)s là et qui ont perdu, si tant est qu'ils/elles en aient déjà eu, leur espoir de s'en sortir.
Au fond de la fosse où se dissout l'American Dream se trouve la population subissant la privation de liberté. Les prisonniers, oui. Il n'est pas question dans le livre (ni ici d'ailleurs) de savoir si ces personnages méritent ou non l'enfermement, encore moins de débattre de l'utilité des prisons. En bonne américaine, l'auteure semble défendre une forme d'auto-défense toute yankee, mais ce n'est pas non plus le coeur du livre.
Ces femmes, puisqu'il s'agit d'une prison de femmes, sont là, emprisonnées, chacune résultant d'une succession de mauvais choix, de mauvaises rencontres, aboutissement de trajectoires chaotiques.
Rachel Kushner nous détaille leur quotidien de violence, de désespoir, d'abandon et de vin « fait maison ».
Romy, principale narratrice, est au centre du récit et devient bien vite le symbole des violences faites aux femmes par les hommes, par la société et par cette machine sans âme qu'est l'administration judiciaire.
De sa jeunesse au déroulement des jours sans fin de la prison, passant par toutes les évènements qui l'ont conduit ici, nous suivons cette jeune femme contre qui les dieux semblent avoir une dent. Sa détermination à retrouver son fils se cogne aux murs de l'administration, comme un papillon de nuit à un lampadaire, avec obstination et inutilité.
Le système judiciaire, arbitraire et inhumain, est passé au crible sous la plume de l'auteure, la quasi inexistence des femmes, encore plus lorsqu'elles sont précaires, dénoncée avec force.
Construit très habilement, ce roman se dévore sans que l'on s'en rende compte. Les personnages que l'on croise, même furtivement, participent au déroulement des jours, s'étirant lentement, poisseux comme une nappe de pétrole.
Flic ripoux ou prof attentif, codétenues ou surveillants, ils et elles peuplent ce récit tragique où les valeurs semblent parfois renversées.
Un roman âpre et bouleversant, à l'écriture habitée par ce sentiment d'enfermement et de tragique, rendant inéluctable ce qu'il advient.
Une tragédie, dont la première scène vous happera aussitôt, pour ne plus vous lâcher.
C'est beau et terrible.
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