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Critique de clude_stas


Le sous-titre de ce numéro hors-série de l'Objet d'art pourrait être « Duchamp avant Duchamp ». Avant les ready-made. Avant la « Roue de bicyclette » et la « Fontaine ». Avant Dada et le surréalisme. Avant les avatars tels que R.Mutt et Rrose Sélavy. Mais avant d'aller plus loin, je me dois de rappeler que dans les années 1950, Marcel Duchamp, vivant aux Etats-Unis, n'est connu que d'une certaine élite intellectuelle. Ce n'est qu'en 1954 qu'une de ses oeuvres intègre une collection muséale. Et sa première monographie, due à Robert Lebel, ne date que de 1959. Et, en 1968, tout est plié : Marcel Duchamp décède à Paris. Remis à l'avant de la scène par les artistes du Pop Art et surtout ceux du Nouveau Réalisme (merci à Jean Tinguely), la célébrité de l'artiste est essentiellement posthume, cité comme figure tutélaire par des artistes minimalistes, conceptuels ou néo-dada. Si bien qu'il existe réellement une énigme duchampienne qui fascine certains, en énerve bien d'autres.
Le propos est donc de nous présenter les oeuvres « de jeunesse », de formation, d'auto-découverte de celui qui avait tout compris : en mettant des moustaches à la Joconde, il révélait à la face du monde qu'elle était, en réalité, un travelo. Pourtant, Marcel n'a pas toujours été le sale gosse qui, au mépris des règles, a bouleversé la conception de l'art. Au contraire, il a été un peintre de chevalet, avec des pinceaux et des tubes de peinture à l'huile. C'est d'un bourgeois, mon cher, mais c'est ainsi ! Au Centre Pompidou de Paris, une exposition (du 24 septembre 2014 au 5 janvier 2015) a relevé la gageure de rassembler les toiles montrant comment Duchamp s'est émancipé de la peinture pour se tourner vers d'autres réflexions plastiques. Mais de ready-made, il n'y a point… alors que dans la revue ici présente, tout un chapitre leur est consacré.
Mais ne brûlons pas les étapes et revenons à Marcel, au milieu de sa fratrie ; un frère, Raymond Duchamp-Villon, est sculpteur ; un autre, Jacques Villon, est peintre et graveur ; enfin, la soeur tâte aussi du pinceau. Rien d'étonnant à ce que Marcel commence par la peinture de genre, par le paysage, le portrait, le nu, l'allégorie, et de prendre Edouard Manet comme référence principale. Et de suivre une logique historique : de Manet, il passe à Cézanne ; de Cézanne à Matisse ; puis de Cézanne à Picasso ; de Picasso au futurisme… mais ce serait là une vision presque romantique de notre iconoclaste en devenir. Les premières influences de Marcel Duchamp ont également des racines bien académiques : Odilon Redon ou Arnold Böcklin. Mais toutes les oeuvres produites lors de ces années-là ont pour point commun un réel rejet du naturalisme, de toute référence au réalisme. Marcel est déjà un peintre de l'idée, voire de l'idéal, à l'instar des symbolistes, avant de devenir l'artiste du concept. Certaines toiles sont très réussies : un portrait cézanien de son père, des joueurs d'échecs dignes de Georges Braque ou des nus féminins aux accents plus expressionnistes que fauves. Très vite, il prend conscience que la figure est un leurre et, lentement, il va la déstructurer afin de se focaliser sur la machine. Ce sont les toiles mécanomorphiques dont « le Grand nu descendant l'escalier » et « le Grand Verre » sont les meilleurs exemples. Et, aujourd'hui, ces icônes de l'art du XXe siècle sont reproduites dans tant de revues, de livres, d'articles, qu'elles occultent la production des premières années.
Ensuite, prenant une distance intellectuelle (et politique) avec le monde de l'art, Marcel Duchamp va réintroduire avec violence le réel (et non plus la réalité) dans le champ esthétique. Par là même, il redéfinit entièrement l'art, en démontrant qu'il est le produit de la rencontre de deux subjectivités. D'abord, celle de l'artiste présentant un artefact et disant que c'est une oeuvre d'art. Ensuite, celle du spectateur reconnaissant l'objet comme une oeuvre d'art. L'art n'existe pas en soi ; il n'est qu'une vision de l'esprit.
Ainsi voilà une excellente alternative au catalogue de l'exposition.
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