- Beau la vie ? (Elle fait une grimace) Beau, non. Bobo, oui. Elle fait bobo, la vie...
Et je vous demande : est-ce que nous vie vaut la peine d'être vécue si notre mort ne fait pas couler une seule larme sur la joue d'une seule personne ?
Ils ont pénétré dans la salle de bains, y ont trafiqué je ne sais quoi en continuant de parler et en tapant de temps à autre sur la tuyauterie. Un moment plus tard, ils sont ressortis. Ni sourire, ni regard, ni au revoir, ni excusez-nous de vous avoir dérangée, pas un mot. À se demander si j'existe. Peut-être pas. Ça expliquerait. C'est ça la vieillesse, je me disais. On ne vous voit plus.
Monsieur le Président de la République,
Je vous écris cette lettre que vous ne lirez jamais, d'abord parce que je ne vous l'enverrai pas, ensuite parce qu'elle émane d'une vieille femme de quatre-vingt-cinq ans et que vous, parce que les vieux ne descendent pas dans la rue, parce que leur désespoir ne fait pas la une des médias, parce qu'il ne franchit pas les murs derrière lesquels il est hermétiquement circonscrit, vous vous en foutez. Les vieux et le personnel surexploité qui les maltraite sont livrés au cynisme des rapaces aux griffes acérées et aux grandes fortunes pour qui la fin de vie représente une source de profits considérables. C'est une honte, c'est une infamie, c'est un scandale, c'est une atteinte criminelle à la dignité humaine, mais vous vous en foutez. "Vous", c'est vous et les présidents des gouvernements précédents, les parlementaires, les ministres de la Santé et les sommités médicales qui sont ou ont été ces vingt dernières années aux "responsabilités", ou plutôt devrions-nous dire aux "irresponsabilités".
Honte à vous tous !
Veuillez agréer ma déconsidération distinguée.
Signé : Une vieille peau
Comme ces idiotes, j'ai épousé un Prince charmant, comme elles, j'ai assisté à la métamorphose du Prince en crapaud, comme elles, mes rêves de petite fille ont été emportés dans le fleuve des larmes intarissables et des regrets amers. Au moins je l'ai tué, et le conte de fées a pu se conclure pour toujours et à jamais par un happy end digne de ce nom.
Ces dames et ces messieurs du personnel médical vous expliqueront qu'ils manquent de moyens. Or de nos jours le respect, la bienveillance et la courtoisie se payent : il faut de l'argent pour être civilisé, sans argent on est forcément irrespectueux, malveillant et grossier, n'est ce pas. Il est vrai que pour assurer aux actionnaires des dividendes attractifs et dégager des marges phénoménales pour les propriétaires (qui comptent parmi les plus grosses fortunes de France), ce ne sont pas les seuls résidents qui sont pressurés comme des citrons : les employés sont sous payés, surexploités, surchargés de travail et , somme toute, obligés de maltraiter les résidents.
Mon seul regret est de l'avoir tué trop gentiment