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Critique de elitiatopia


C'est un coup de coeur pour ce roman mélancolique, cette enquête vers un passé disparu à 50 ans de loin, vers des sensations oubliées, une mémoire enfuie.

La situation préalable au roman donne la mesure de la pudeur avec laquelle l'auteur traitera tout du long le sujet infiniment triste d'une soeur noyée, emportée par une vague sur les rochers à Biarritz, sous le phare, à 20 ans tout juste. Il aura fallu la mort de ses parents, l'insistance d'une de ses filles pour briser le tabou familial, le silence de fer pesant sur cette disparition, au point de l'effacer. Ainsi Bernard, le frère aîné de Jean-Marie, présentera-t-il à des connaissances sa soeur sur la photo de famille comme "une amie de la famille". La trahison n'est pas glorieuse, mais il fallait vivre, après un tel drame, vivre sans mémoire, car le traumatisme a effacé jusqu'au son de la voix d'Annie.

À la faveur d'un rêve récurrent, Jean-Marie décide d'écrire un livre sur cet épisode fondateur, qu'il qualifie de "naissance", alors qu'il avait 15 ans : il recherche la parole des témoins de l'événement, ses frères, la meilleure amie d'Annie, Lydie - mais il faut bien se rendre à l'évidence : tout le monde ou presque est parti, et s'il parvient à corriger des erreurs dans le peu dont il se souvient, il n'approche pas la vérité, Annie reste un fantôme lointain et flou. Qui était-elle vraiment ? Que vivait-elle lorsqu'elle a commencé à maigrir de manière effrayante, lorsqu'elle a frôlé la folie dans une solitude sans fond ? À l'évidence, sa soeur aînée avait une belle âme, mais une âme indomptable, farouche, qui ne s'embarrassait pas de compromis...

Ils étaient quatre ce jour-là, comme un refrain lancinant qui revient encore et encore, alors qu'il se lance dans la reconstitution de ce jour fatidique du 1er novembre 1968 : Bernard et lui, Annie et son amoureux, Gilles. Ils étaient imprudemment descendus près de la mer, une vague les a fouettés, emportant Annie et Gilles, tandis que Bernard et Jean-Marie parvenaient à s'accrocher aux anfractuosités du rocher. Il manque donc un témoin capital, Gilles, qui pourrait lui faire remonter le temps et retrouver Annie telle qu'elle était. Seulement, Gilles reste introuvable - pourtant, Jean-Marie ne renonce pas. Comment refermer cette page du passé autrement ?

Nous aurions déjà dans cette touchante démarche une enquête fort intéressante sur un fait-divers peu banal qui rappelle les amants maudits de la Chambre d'Amour, tradition orale devenue argument touristique sur cette partie de la côte basque, si ce n'était l'usage absolument poignant que fait l'auteur de la langue, de la littérature toute entière. La réflexion sur la mémoire, la douleur et le silence, l'émergence progressive des souvenirs, la confrontation entre le récit conscient et la réalité brute des faits, donnent une profondeur irrésistible au roman, jointe à une grande pudeur, une dignité sans fard. le texte est complété par des extraits de documents réels : articles de journaux, lettres, et surtout de photographies en noir et blanc, qui toutes s'entrelacent et trouvent leur place dans ce magnifique récit.
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