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Critique de colimasson


Lacoue-Labarthe choisit de résumer la poésie de Paul Celan en deux poèmes préoccupants : Jänner et Todtnauberg, noms de lieux mais aussi noms de personnes -respectivement Hölerlin et Heidegger.


Heidegger avait beaucoup lu et commenté Hölderlin. Celan prit la relève en lisant et commentant Heidegger.


Jänner : si un homme sage voulait aujourd'hui proférer sur son époque, comme Hölderlin en son temps, que pourrait-il faire sinon bredouiller ? Il serait condamné à l'aphasie (le pur idiome) comme ce fut le cas, dit-on, de Heidegger qu'à cette époque, en 1963, Paul Celan pouvait encore espérer rencontrer, brisant le silence voire amorçant le dialogue.


Todtnauberg, intitulé d'après le lieu de la Forêt-Noire où Heidegger reçut Celan au printemps de 1967 : d'après Beda Allemann, ce poème n'exprime « rien d'autre qu'une description du voyage jusqu'à la résidence du philosophe : fleurs, paysage, fontaine, voyage en voiture ». Il exprime surtout cette intention de Paul Celan qui se solda par un échec : « poser et imposer au philosophe la question de sa position vis-à-vis de ses déclarations de l'époque hitlérienne ». Paul Celan voulait entendre un mot, un seul, sur la douleur après la compromission de Heidegger. Peut-être le mot « pardon » qu'espèrent tous les bons samaritains. Mais Heidegger n'a rien dit. Son silence est-il la confirmation de ses réflexions poétiques enivrantes ou le paradoxe ? Paul Celan rentra chez lui. On put dire de lui, à cette époque, après sa rencontre manquée : « Je l'ai vu à son retour à Francfort : il en était malade ». le poème Todtnauberg parut en janvier 1968. Une lecture en fut faite en août 1968. Quelques mois plus tard, Paul Celan se donna la mort.


Toute la poésie de Paul Celan était une question adressée à la poésie sur la possibilité de l'existence. Est-elle possible en soi ou ne consiste-t-elle qu'à être sur le mode de l'étant ? Heidegger avait nourri l'espoir de Paul Celan. « Dieu apparaît par l'intermédiaire du ciel : et ce dévoilement fait voir ce qui se cache –non pas en tentant d'arracher à son occultation ce qui est caché, mais seulement en veillant sur lui dans cette occultation même ». Tout ce que racontent les poèmes, c'est l'Inconnu pour Dieu, ce qui fait la singularité de l'humain. le sens de la rencontre, c'est de laisser venir l'inconnu. Mais Paul Celan ne sut pas s'y résoudre avec Heidegger et il réclamait son petit sucre moral. La poésie est bien belle mais elle ne sert à rien. En rencontrant Heidegger, plus con et obtus qu'imaginé, Celan comprit l'existence de quelque chose de différent qui n'était pas la poésie, pas le langage, pas l'espoir.


Philippe Lacoue-Labarthe ne propose pas de solution claire à la lecture de Paul Celan. A chacun d'imaginer ce qui s'est passé, qu'aucun des concernés n'a expliqué (Heidegger en se taisant toujours, Celan en mourant). Ce qu'il me semble : avec Todtnauberg, Celan a trouvé la réponse à la question qu'il posait à la poésie. Mais ce n'était pas la réponse qu'il espérait. Toute sa vie l'interrogeant pour savoir si l'on pouvait dire le non-dire, espérant même que la solution serait le non-dire, signification au carré de l'existence, sa rencontre avec Heidegger concrétise cette possibilité. L'idéal imaginé dans la poésie devient vieille crasse dans le réel. Paul Celan avait oeuvré à élaborer une oeuvre poétique de la rencontre dans le non-dire, croyant résoudre une question essentielle de l'existence, mais c'est finalement l'existence elle-même qui a réglé son oeuvre.
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