Citations sur La Ville des vivants (15)
Nous sommes des créatures du passé. Les nouvelles générations ont des problèmes, des solutions, des paranoïas, des qualités qu'il nous est difficile d'imaginer. Le passé n'existe presque plus. Et le futur est tout à eux, par chance pour nous.
p.157 éd. Literatura Random House (traduction libre du contributeur à partir du texte traduit en espagnol)
N'attribuons pas les problèmes de Rome à l'excès de population. Quand il n'y avait que deux romains, l'un tua l'autre.
Giulio Andreotti (ancien Président du Conseil) cité par Nicola Lagioia dans l'incipit de "La cita dei vivi" ("La ville des vivants", 2020)
Ceux qui étaient présents se rendirent compte qu'ils étaient face à une situation rare: cette fois ce n'était pas la justice qui s'efforçait d'illuminer les coins obscurs de la nature humaine, mais que c'était le fond du puits qui montait violemment vers qui se penchait pour y voir dedans.
Le rêve du quartier multi-ethnique, qui avait été encouragé au cours de la décennie antérieure, s'était écroulé sur lui-même, provoquant non pas un conflit racial, non pas une lutte des classes, mais le sommeil, le manque de services, une chute tranquille où, entre vomissements et poubelles, ils s'enfonçaient tous ensemble.
(traduction libre du contributeur à partir de la traduction en espagnol du texte original. p. 90 éd. Literatura Random House, 2022 "La ciudad de los vivos".)
Le mal. Ils devaient travailler tous les jours avec le mal. Le colonel dit que le mal n'était pas un concept abstrait, mais pas davantage qu'il fallait l'imaginer comme une entité pleinement définie. Le mal était mobile, protéiforme et, surtout, contagieux. Plus longtemps tu étais proche de lui, plus tu risquais de commencer à te comporter en accord avec ses plans. Il n'y avait rien de plus triste, dit-il, qu'un carabinier qui souillait l'uniforme. C'était quelque chose qui parfois arrivait. Pour cela, celui qui était entouré d'un aura protecteur - qui agissait de façon à ce que l'on en soit digne, me sembla-t-il qu'il voulait dire- avait l'espoir de mener à bien son travail sans tomber.
p.194 "La ciudad de los vivos", éd. Literatura random House, 2022 (traduction libre du contributeur depuis le texte original italien lui-même traduit en espagnol)
La responsabilité individuelle, le libre arbitre : en quoi nous transformerions-nous, ou nous dissoudrions-nous, si nous nous libérions de ces deux poids fondamentaux ? Nous vivions dans un monde constamment analysé, sondé, passé au crible par mille enquêtes et statistiques, mais c'était pourtant un monde impénétrable, où il était de plus en plus difficile de comprendre qui était responsable de quoi. L'économie s'effondrait. De qui était-ce la faute? La Terre était menacée par les changements climatiques. Y avait-il des responsabilités spécifiées à cela? Paradoxalement, à cette époque où les principaux changements sur la planète étaient imputables à nos actes, l'exercice le plus difficile consistait à relier un effet à sa cause, surtout sur le plan humain, individuel.
La collision avec le chagrin renvoie la plupart d'entre nous à une sorte d'innocence originelle. Nous n'avons plus de défenses ni de ressources, nous ne pouvons absolument rien faire pour éviter le pire, et ainsi, avec nos défenses, ce sont nos privilèges, nos stratégies, notre appartenance de classe, notre rhétorique qui s'effondrent, laissant entrevoir cette nudité fragile de l'espèce que nous avons tous en partage.
La victime innocente n'a pas besoin de donner de preuves, son corps est sacré. Si le narrateur, c'est à dire la trame de l'homicide, aspire à déformer notre regard (nous conduisant d'un côté à ne pas éprouver d'amour pour la victime et, de l'autre, à avoir l'illusion que ce que nous méprisons chez le bourreau nous est étranger), il faudrait exécuter un double mouvement pour échapper à ce piège. Il faudrait aimer la victime sans avoir besoin de savoir quoi que ce soit d'elle. Il faudrait en savoir énormément sur le bourreau pour comprendre que la distance qui nous sépare de lui est moins grande que ce que nous croyons. Ce second mouvement s'apprend, il découle de l'éducation. Le premier est bien plus mystérieux.
Rome était morte et ressuscitée bien des fois, et je n'étais pas assez arrogant pour imaginer que la débâcle actuelle était définitive. Par contre, elle risquait de le devenir pour mes expectatives et celles des personnes que j'aimais. La ville du dessous mangeait celle du dessus, les morts dévoraient les vivants, l'informe gagnait du terrain. Nourrir de l'espoir n'était plus perçu comme une ingénuité mais comme un affront mortel, ce qu'il restait de viable appelait l'agression, la morsure contaminante, et cette petite barrière en bois, la porte de l'appartement de Manuel Foffo symbolisait le terminus d'un long processus dégénératif. Elle était à la fois une prémonition, une promesse : vous passerez tous de ce côté, si vous n'y êtes pas déjà passés.
L'extraordinaire nature de Rome n'était pas dans ce qu'on appelle la transcendance, que seuls les idiots pouvaient ressentir, mais dans la conscience omniprésente que tout est humain et que tout se corrompt. C'était ça la leçon du passé. Aucun présent n'a plus de valeur que celui de qui sait qu'il doit mourir.