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Critique de marine__bouquine


Margot est une enfant que l'on accuse de sensualité lorsqu'elle est victime d'inceste par son oncle de dix ans son aîné dans le secret du foyer des grands-parents, qui couvrent les abus sexuels de leur fils. Elle grandit pour devenir une adolescente traumatisée, les organes en vrac, en quête de réponses et de guérison, et, là où tous les médecins du corps ne savaient trouver de solution, Achille Donnelheur a réussi à mettre des mots sur les maux qui agitaient son coeur. Il l'aide à se souvenir, à accepter, et à se définir dans son passé. Margot reprend pied, ressemble de plus en plus à l'enfant qu'elle était, elle devient une jeune adulte idéaliste et curieuse. Tout cela grâce à son bon docteur, sans qui elle ne s'imagine plus vivre.

La thérapie s'arrête un jour pourtant ; pour mieux reprendre quelques années plus tard alors que Margot s'effondre sur elle-même. Toutefois le gentil psychiatre, le bon docteur qui l'avait guérie, n'est plus tout à fait le même. Achille est devenu capricieux, colérique, extrêmement sévère et se montre de plus en plus insatisfait par le développement de Margot. Elle essaie pourtant de suivre toutes les règles de l'exercice, mais il joue les girouettes avec les opinions émises lors de sa première thérapie et elle ne sait plus quoi faire des réponses qu'elle avait trouvées à l'époque. Margot finit même par se prêter au jeu de la psychanalyse pour faire plaisir à Donnelheur, qui voue un culte à la science de Freud. Allongée sur son divan, elle doit le voir trois fois plus souvent, elle doit l'écouter parler derrière sa tête de sujets qui la mettent mal à l'aise et le surprend même à mettre en place des contacts physiques, qu'elle considérait depuis des années comme un interdit tacite entre eux. Elle sent bien que la thérapie ne lui fait plus autant de bien, et elle se doute que son docteur n'est pas aussi sain qu'elle aimerait. Elle voit les signes d'une pente glissante, mais l'idée de perdre son psychiatre la terrifie et elle s'y engage les yeux bandés, isolée dans son admiration pour lui et la dépendance aux bons remèdes qu'il lui prescrit. Après avoir grandi et appris à s'épanouir en thérapie, Margot mûrit pour devenir une adulte dépendante, brisée par la trahison d'un être en laquelle elle plaçait toute sa confiance.



[Critique - Attention spoilers]

Les thèmes abordés
On ne va pas se mentir, les sujets traités par ce roman sont durs et la lecture s'en trouve parfois difficile : entre inceste, abus sexuel, emprise psychique, rapport au corps, pensées suicidaires et dépendance, Margot et le lecteur en voient de toutes les couleurs. Mais Chloé Lambert traite des sujets importants avec des mots choisis avec justesse et sensibilise son lecteur avec brio.

Je pense tout d'abord au sujet de la santé mentale. Margot l'écrit elle-même, la santé mentale, les troubles psychiques, tous ces problèmes qu'on ne peut pas saisir et guérir avec la médecine traditionnelle ou une bonne dose de magnésium ; dans sa famille, on préfère les passer sous silence. Margot se trouve donc seul face à ses démons, et c'est seulement lorsqu'un médecin spécialisé dans les troubles de l'adolescent la rencontre qu'elle trouve enfin l'aide et le suivi nécessaires pour oser effleurer des espoirs de guérison. Chloé Lambert décortique le processus de thérapie, présente les différentes étapes, la tactique et les règles établies par le psychiatre pour aider son patient à aller mieux. Elle décrit un métier difficile ; celui d'obtenir la confiance absolue de quelqu'un, d'obtenir qu'un inconnu vous ouvre son âme et que vous ayez la responsabilité de démêler tous les noeuds de sa psyché. Que ce soit pendant la thérapie plus traditionnelle, ou pendant le processus de psychanalyse, j'ai trouvé très intéressant la façon de décrire le déroulé des rendez-vous chez le psychiatre, de la phase de découverte dans la salle d'attente où Margot se sent comme une étrangère à la phase où la thérapie prend tout son sens, lorsque le patient se livre et que le docteur peut l'aider à comprendre. L'ensemble dédramatise un peu ce que l'on peut imaginer autour des maux de la santé mentale, il n'y pas besoin d'être « fou » pour avoir besoin d'un thérapeute et libérer la parole peut libérer le patient d'un fardeau lourd.

Ensuite j'ai trouvé que Chloé Lambert abordait les abus sexuels en général, et plus en particulier dans le cadre familial, avec des mots adaptés. Elle place sa protagoniste dans une situation complexe : elle cède aux avances d'Éric, cet oncle qu'elle adore de toute sa tendresse d'enfant, jusqu'à coucher avec lui. Elle se surprend à chercher ensuite ces rendez-vous avec lui, cette sensualité qu'elle trouve dans ses bras. À cette époque, personne ne la comprend. Quand, après son premier rapport avec Éric, elle craint d'être enceinte et que sa famille apprend qu'elle a couché avec un garçon, elle se trouve isolée. Seul Éric lui témoigne encore de la tendresse, de l'affection. Elle devient dépendante de tout cet amour qu'elle trouve chez lui, cette sympathie qu'on lui refuse désormais ailleurs. Quelques années plus tard, pendant sa thérapie, est traité le sujet de la culpabilité et de la responsabilité. Margot se demande : « Est-il nécessaire d'être responsable de quelque chose pour susciter des comportements ambivalents ou des réactions agressives et incompréhensibles ? ». Quand Achille Donnelheur est en colère, il s'amuse à ramener le sujet de l'inceste sur la table : il lui rappelle qu'elle n'a jamais refusé, peut-être voulait-elle consentir ? Elle s'est prêtée au jeu, alors peut-elle vraiment attribuer toute la responsabilité de l'affaire à Éric ? Est-elle vraiment victime ou a-t-elle participé à ce jeu malsain et interdit avec son oncle ? Margot s'interroge, remet en question son statut de victime. Son entourage la fait culpabiliser pour lui faire porter le chapeau, la mère d'Éric la dépeint comme une enfant perverse qui tournait autour de son fils dès l'âge de six ans. le psychiatre lui dit que finalement, elle a peut-être détruit sa famille volontairement en se tournant vers l'oncle Éric parce qu'elle détestait avoir un frère. Alors qu'elle était sous l'emprise de l'homme en lequel elle avait placé toute sa confiance et sa tendresse, il a profité de son influence pour abuser d'elle, mais elle hésite encore sur son statut de victime. Dans le cas d'agressions sexuelles, les victimes sont souvent culpabilisées, sur leur comportement, leur tenue, leur attitude, comme si elles étaient forcément responsables des déviances de leur agresseur. le sujet est remis sur la table et retourné dans tous les sens à travers l'histoire de Margot et j'ai trouvé cela très intéressant et accessible.

Pour en revenir sur le sujet de l'emprise, il était également très présent dans ce livre. C'est certainement, avec la thérapie et les abus sexuels, un de trois piliers du roman. Chloé Lambert y parle de l'emprise que peut avoir une figure, qui inspire tant confiance, à laquelle on se livre sans aucune méfiance. Dans les relations asymétriques qu'elle entretient, avec Éric, puis avec Achille, Margot se retrouve sous l'emprise de figures masculines plus âgées qui lui inspirent confiance et à qui elle a le sentiment de pouvoir tout dire. Puisqu'elle les aime, ils lui veulent forcément du bien aussi. Pourtant, ils finiront tous deux par la trahir de la même façon et elle en ressortira brisée. Dans le cadre pervers de la famille, puis dans celui confiné du petit cabinet où elle a passé son adolescence et sa vie de jeune adulte – dans des cadres de confiance – Margot est brisée par des hommes qu'elle aimait et admirait.



Les choix de narration/rythme
On se place dans la peau de Margot de par la narration à la première personne. Par son écriture dynamique et ses mots justement choisis, à travers ce personnage au langage souvent poétique et parfois fleuri, Chloé Lambert nous fait suivre facilement tout le fil de son roman : les stades de la guérison, de la rechute, les quêtes de réponses, les pertes de raison ; on découvre les doutes de Margot, ô combien reconnaissante et dépendante envers son docteur mais qui se doute que tout ne tourne pas toujours rond avec Achille Donnelheur. On a finalement l'impression de se plonger dans les notes que prend Margot en permanence, et par les tons employés aux différentes périodes, il est facile de se situer dans la temporalité de la vie de la patiente.
J'ai trouvé la dernière partie, « Répétition », particulièrement fortes. Toute la mesure, le respect éprouvé par Margot pour son docteur laissent place au mépris, à la colère inspirée par cet homme qui a profité de son ascendant pour faire d'elle ce qu'il voulait, forgeant son esprit selon ses propres convictions, alimentant la fascination paternelle qu'elle lui vouait, lui faisant revivre le drame incestueux de son adolescence alors qu'il devait l'en protéger. Dans cette partie, elle s'adresse directement à lui, elle l'apostrophe, lui donne des noms d'oiseaux et peste contre lui. Tout ce qu'elle n'avait jamais réussi à lui dire, elle s'en libère, avec violence. On sent sa colère, on déteste le docteur avec elle et on ressent toute l'ampleur de sa trahison.
C'est ainsi un livre extrêmement fluide, qui se lit très rapidement, ce qui est agréable.



Les personnages
Le roman tourne autour de la relation patient-docteur, on se trouve donc à beaucoup se concentrer sur le tandem Margot-Achille !

Margot, j'ai eu envie de la prendre dans mes bras plusieurs fois pendant ce roman. Peut-être que c'est parce qu'elle abordait la vie avec le langage psychique des enfants face à des gens qui en savent plus qu'eux. Peut-être que c'est parce qu'elle avait vécu suffisamment de choses horribles pour plusieurs vies. Peut-être que c'est parce qu'on la voit grandir, essayer tant bien que mal de sortir de sa douleur, pour tomber toujours sur de sombres individus qui la refont tomber. Margot est malheureusement le miroir de tant de femmes. Combien vivent des abus sexuels ? Combien tombent sous l'emprise d'un homme ? Combien s'engagent dans des relations toxiques qui les isolent ?
Le sujet du miroir revient plusieurs fois dans le roman. Margot n'arrive pas à affronter son reflet, elle fuit les miroirs, mais s'assure de saisir son existence en les croisant. Elle est victime de son propre corps, le déteste de tout son coeur. C'est le vaisseau de ces maux, c'est ce qui attire ces hommes qui l'ont touchée sans qu'elle le veuille, que ce soit l'oncle, le guide touristique ou le dermato de son adolescence, ou le psychiatre. J'ai eu beaucoup d'empathie pour Margot, parce qu'on voit qu'elle essaie de se démêler de l'emprise du psychiatre, qu'elle remet en question certaines de ses décisions, de ses analyses. Mais elle est seule au monde, elle n'a que lui ; si elle le perdait, elle le dit elle-même, elle n'aurait plus de raison de vivre. Cette jeune fille perdue m'a beaucoup touchée.

Concernant Achille, je l'ai détesté assez vite. Derrière ses manières mesurées et ses grands principes éthiques, il est aussi malade que sa patiente. Mais là où Margot ne fait du mal qu'à elle-même, il projette sur elle toutes ses craintes, lui fait du mal, la manipule. Il lui crée des problèmes pour pouvoir mieux les guérir, il la rend dépendante de lui et crée un cadre toxique. Alors qu'elle est terriblement mal à l'aise avec son corps et sa sexualité, il prend un malin plaisir à en parler, à en discuter plus fort que tous les autres sujets. Il fait d'elle son cobaye de psychanalyse. Il franchit souvent les limites.
Il évoque à Margot des grands-pères responsables pour l'acte incestueux sacrificiel qu'elle a subi comme une façon d'expier toute la haine familiale. C'est amusant qu'il insiste autant sur la responsabilité des papis quand on sait que lui-même pense être le fruit d'une relation incestueuse entre sa mère et son grand-père. Il semble transférer tout son passif familial sur Margot. Il n'a pas obtenu de réponse à ses questions, alors il fait douter Margot de toutes les certitudes qu'elle avait réussi à construire.
Puis un beau jour, il transgresse l'interdit. Il lui fait revivre l'expérience de l'abus sexuel, mais aussi quelque part de l'inceste, elle qui le considérait comme un deuxième père et qui lui portait un amour d'enfant admiratif. Dans ce cabinet où elle a appris à vivre de nouveau et à aimer, il s'impose à elle, la viole. Moi aussi, j'étais bien contente qu'il soit mort ce psychiatre abusif. Mais j'aurais préféré qu'il soit confronté à son crime, lui qui savait très bien quelles ficelles tirer pour manipuler le coeur de Margot. Pendant dix-sept ans de thérapie, il instille le doute sur sa responsabilité de l'inceste, insinuant que qui ne dit mot consent. Avec lui, elle a pourtant bien exprimé son refus, mais cela ne l'a pas empêché de passer à l'acte. J'ai détesté de tout mon coeur de lectrice cet infâme personnage abusant de tous ses pouvoirs ; et je suppose que c'est synonyme d'un roman bien écrit quand on hait à tel point un personnage fictif.

Les autres personnages, beaucoup plus absents, sont aussi intéressants. On s'interroge sur ce grand-père Alfred qui est témoin des abus de son fils sur sa petite-fille mais qui ne dit rien. On a de la peine pour les parents de Margot qui font tout pour aider leur fille sans comprendre ce qu'elle a subi, qui la soutiennent et l'épaulent quand elle a besoin de leur aide pour confronter les complices de l'inceste. Il y a aussi l'ours, et puis Pénélope, qui a leur façon jouent un rôle très important dans la vie de Margot, même si on ne les voit que très par rapport à Achille.



Pour conclure :
« Nous en resterons là » était donc pour moi un beau roman, touchant, bien ficelé, abordant des sujets marquants. C'est une lecture que je recommande, pour les âmes averties qui se sentent capables d'aborder les sujets évoqués précédemment. Bonne lecture à tous !

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