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Critique de marielabrousse1


Des trois romans de Kevin Lambert, c'est sans doute celui que j'ai le moins aimé – ce qui signifie que je l'ai « juste » trouvé excellent : il faut dire que la barre était placée démesurément haut avec Querelle de Roberval, alias ma plus grosse claque littéraire de ces dernières années.

Céline Wachowski, célèbre architecte montréalaise, dévoile le projet censé être le couronnement de sa carrière : le complexe Webuy (équivalent d'Amazon dans l'univers du roman). Rapidement, la controverse éclate quant aux retombées sociales du projet – à la grande surprise de Céline qui, bien qu'ultrariche, se considère encore comme étant de gauche…

L'histoire se découpe en trois parties, qu'on pourrait très grossièrement résumer à « avant, pendant et après » le scandale. La première partie, qui décrit une fête mondaine sur près de cent pages, m'a d'abord parue moins forte et plus longue à démarrer que le plongeon brutal dans les deux romans précédents de l'auteur. Une impression d'autant plus marquée que Kevin Lambert, avec les très longues phrases de cette première partie, rend à l'une de ses autrices fétiches Marie-Claire Blais un hommage stylistique un peu trop appuyé pour mes goûts personnels.

Il m'a fallu arriver à la deuxième partie pour être véritablement rassurée – enfin, rassurée, façon de parler. Disons plutôt pour retrouver ce qui m'avait tant plu dans Tu aimeras ce que tu as tué et dans Querelle de Roberval : l'impression d'assister, phrase après phrase, à une implacable succession d'événements, marqueurs d'une violence sociale inouïe, jusqu'à un point insoutenable où le drame ne peut qu'éclater. La troisième partie renoue stylistiquement avec la première, mais cette fois, la lecture a coulé toute seule, soit parce que cet aspect est moins marqué, soit parce que j'étais véritablement rentrée dedans.

La plongée dans la psychologie des personnages et l'analyse sociologique est encore une fois incroyable et percutante. L'auteur a le don pour nous dépeindre la réalité intérieure des personnages, leurs failles, leurs distorsions cognitives, l'influence plus ou moins consciente et assumée de leur milieu social, et les idées toutes faites qu'iels ressassent et auxquelles iels se raccrochent en croyant mener de profondes réflexions intellectuelles sur la société (on se reconnaît parfois là-dedans et c'est assez embarrassant). On avait déjà cet aspect dans Querelle de Roberval avec des personnages issus des classes populaires. Mais ici, l'auteur nous montre que les classes supérieures, si instruites et éduquées soient-elles, n'échappent pas à ce travers – et c'est même pire, dans la mesure où leur instruction, leur éducation et leur richesse les amènent à se croire plus intelligent·es que les autres, alors qu'iels ont simplement plus de pouvoir. Et même leurs bonnes intentions et leurs bonnes actions ne suffit pas à compenser les ravages que cause le simple fait qu'iels soient si riches.

Avec le dénouement, Kevin Lambert semble vouloir éviter de faire redite avec ses romans précédents ou de tomber dans une surenchère grotesque après Querelle de Roberval. Les choses sont amenées plus subtilement, la violence est plus insidieuse, parfois même pas perçue comme telle par les personnages – et c'est là tout le point du roman. On gagne en finesse ce qu'on perd en catharsis. Étrangement, c'est une des raisons pour lesquelles je pense que des trois romans de l'auteur, c'est celui-ci le plus abordable pour le grand public, bien qu'il soit (à mon avis) le moins percutant.
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