Véritables guerriers, les coureurs, dans l'exercice de la course, assiègent le mur du temps.
Aérien, contre le ciel, au-dessus de l'amas des têtes, debout sur sa moto cachée par la haie verticale des spectateurs, surnage, caoutchouc blanc et vallonné, le bonhomme Michelin, les bras toujours ouverts, en balancier.
S'échapper, c'est ouvrir la porte, saisir ou construire le moment opportun dans la fluidité compacte du peloton, là où se dessine l'interstice convoité.
Trouver l'appui dans le parcours lui-même, la route et ses exigences, accorder rythme et trajectoire à ses variations.
Ne rien négliger, épeler chaque mètre, articuler chacun des segments, bien partir, passer au plus serré, travailler avec le vent, se référer aux scansions de l'adversaire dont vous informent les suiveurs.
Au départ de la course, les différentes équipes et leurs coureurs se trouvent juxtaposés : la tâche de l'épreuve sera de les mettre en ordre , d'en organiser logiquement la syntaxe et le sens.
Les coureurs, à mesure que la saison et que la course avancent, eux aussi s'affûtent comme un livre qui s'écrit : la peau rejoint le muscle, élimine le rempart graisseux, le corps vise l'image tranchante de la lame de couteau, afin d'être la coupure même de l'air.
Le peloton dissimule une vie intense et parfois secrète faite de l'extrême assurance des uns, du désarroi des autres. C'est une jungle étrange qui abrite des défaillances passagères, un monde non dépourvu de tendresse, mais où l'on juge sur pièce.