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Critique de Zebra


« Artemisia » est une grande biographie romancée écrite par Alexandra Lapierre. Paru en 1998 aux éditions Robert Laffont, dans la collection Pocket, cet ouvrage de 670 pages couvre une grande partie de la vie d'Artemisia Gentileschi, « la première femme peintre qui gagna sa liberté à la force de son pinceau ». Prix du roman historique et Prix du XVIIème siècle, le livre a reçu les éloges de la presse : il a été noté 3,81 sur 5 par les lecteurs de Babelio.

La première page annonce d'emblée la tonalité du livre : Artemisia, un duel pour l'immortalité. Diable! Puis, deux pages plus loin, Alexandra Lapierre précise : « A mon père, avec un tendre clin d'oeil. » avant d'ajouter : « Pendant cinq ans, j'ai cheminé sur les traces d'Artemisia et d'Orazio Gentileschi à travers le monde. le lecteur trouvera l'histoire de mes recherches, la liste de mes sources, ainsi qu'un petit lexique des principaux personnages en fin de volume. » Vous l'aurez compris : en ouvrant le livre, vous plongez dans une aventure majeure. L'auteure a entrepris une réelle filature à travers les âges (respect des faits, présentation du contexte et du destin des personnages). le travail sur L Histoire est remarquable, la représentation de la vie et du milieu artistique italien du 17ème siècle est criante de vérité et d'une richesse inouïe, quant à la biographie de cette femme hors du commun, elle abonde en détails troublants et vous porte à la fin de l'ouvrage sans avoir occasionné le moindre ennui. En passant, vous découvrez les tableaux de l'époque, les techniques employées en peinture, les procès -monnaie courante- le côté misogyne de la société et plein d'autres choses (voir plus loin).

Les évènements sont décrits avec fougue, passion et fluidité. le côté baroque de l'ensemble invite à des images séduisantes. le cheminement d'Artemisia, touffu et complexe, est à l'image de la vie artistique d'alors. Les rapports passionnés, faits de haine et d'amour, entre Artemisia et son père Orazio sont d'un réalisme saisissant, frisant un peu le romanesque. L'écriture est agréable et d'une grande fluidité.

Biographie quasi-unique de cette femme peintre, l'ouvrage allie le sérieux du chercheur et l'audace de l'écrivain parti à la rencontre du terrain : le récit est fouillé, les chapitres courts vous tiennent en haleine, le rythme est soutenu, l'enquête psychologique (rapports entre père et fille, entre femmes, entre femmes et hommes, entre peintres et simples ouvriers, …) est d'une richesse incroyable. le côté obsessionnel du destin d'Artemisia se conjugue à la perfection avec la rencontre sentimentale et intellectuelle de cette femme avec la société italienne du XVIIème siècle. Oui, Artemisia voulait son indépendance, elle voulait que son talent soit reconnu, elle voulait se relever du viol qu'elle avait subit et se servir des hommes pour être célèbre.

Livre féministe ? Peut-être. En fait, Artemisia voulait devenir un grand peintre : pour cela, il lui fallait choisir entre la petitesse et la grandeur, entre le néant et l'éternité, entre son père et elle (page 277). Pour Orazio, Artemisia était cette enfant qu'il avait voulu façonner, une image, une idée, le prolongement de lui-même et de son ambition (page 279). Puisant dans sa vie, recueillant les fruits de l'orgueilleux combat des grandes dames de l'Histoire, Artemisia met en scène dans ses peintures l'injustice, la trahison, la honte (page 334). Et ses tableaux reflètent la violence des rapports qu'elle entretenait avec son père : entre elle et lui c'est à celui qui pourrait « écraser l'autre de sa superbe » (page 496). Au terme de sa vie, Orazio lui offre enfin une identité, une profession, une carrière et la liberté (page 328) : pour lui qui ne pouvait travailler à Florence sans l'influence qu'Artemisia avait auprès du Grand Duc, pour elle qui ne pouvait entrer à l'Académie sans que son père fasse les démarches nécessaires à Florence, les jours deviennent subitement plus paisibles, et les rivalités s'estompent.

Alors, Artemisia, une femme d'une force indestructible ? Pas vraiment : Artemisia reste une femme naturelle qui vit en bonne intelligence avec ses proches (page 303), mais -artiste jusqu'au bout des doigts- elle n'en demeure pas moins une enfant, inquiète et angoissée (page 420), et une mère : pour Artemisia, la maternité est synonyme de chaleur d'un jeune corps qui se blottit contre elle, de sensation de paix, d'abandon, de douceur, d'intimité, de goût du secret. Bref, elle s'épanouit et cet épanouissement dépasse celui que lui procuraient ses nombreux amants (page 396).

Mais cet ouvrage offre également aux lecteurs d'autres occasions, à commencer par la redécouverte des sociétés romaine (avec sa compétition entre les artistes), florentine, vénitienne (ah, Venise, excommuniée après son long bras de fer avec Rome ; une société patricienne devisant sans fin sur la place de la femme dans l'univers) et napolitaine de l'époque (ah, Naples, sa tiédeur, sa turbulence, son brouhaha, les contrastes entre les immenses couvents et les baraques exigües coincées dans des culs-de-sac) ; l'ambiance des cours (fourmillant d'espions et d'émissaires de toutes sortes) ; le côté singulier des salons (où, en guise de pâtisseries, on vous servait des Cupidons en sucre, des Vénus en pâte d'amandes et des pièces montées) ; l'atmosphère si particulière de Londres (froide, sans couleurs, triste, envahie par la fumée noire et les puanteurs des exhalaisons de houille) ; certaines pratiques très habituelles (comme la rapine des oeuvres d'art), etc.

Alexandra Lapierre a effectué des recherches considérables, s'est enfermée dans son écriture et est allée vers ses personnages, allant hanter les lieux où ils ont vécus, serrant au plus près la vérité historique. Cette exigence, intime et personnelle, ce respect, Alexandra Lapierre les met au service de l'ouvrage : le livre en ressort plein d'une clarté, d'une précision et d'une vérité décuplée. Un chef d'oeuvre. Cinq étoiles.
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