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Critique de colimasson


C'est une bonne idée, ça, de transformer un truc tout pourri en or. C'est limite de l'alchimie, on prend un truc bouseux parmi la prolifération de trucs bouseux qui nous entourent et on en fait quelque chose d'unique au monde. N'est-ce pas un peu ce que suggère cette voie mystique de l'angoisse ? de l'angoisse, vous en avez à foison, non ? Alors que la voie mystique, vous ne savez même pas à quelle intersection elle se trouve.


Ce que Michel Laroche veut nous faire comprendre, c'est que l'angoisse n'est pas un sentiment inopportun que l'on doit refouler, occulter, dissimuler ou bâillonner, comme nous le conseillent tous ces connards de l'optimisme dans un monde qui n'a pourtant rien d'enthousiasmant. Je ne vais pas vous refaire le topo sur un certain livre de développement personnel que j'ai lu récemment mais on s'en trouve là, à lire des crétins des Alpes qui nous disent qu'il suffit de ne plus penser à son angoisse pour que le ciel nous bénisse et nous envoie tout l'amour, la joie et le bonheur dont nous rêvons depuis notre première gorgée d'air sur terre. Mais l'angoisse n'aime pas être piétinée. On peut essayer de lui bousiller la gueule et elle se tiendra peut-être tranquille dans son coin, l'espace de quelques heures, mais quand elle aura repris des forces, elle viendra nous exploser à la face avec encore plus de haine qu'avant. Que foutre donc de notre angoisse si on ne peut pas la buter une fois pour toutes ? Michel Laroche nous dit qu'il faut l'écouter et aller au bout de ce qu'elle veut nous dire. Je sais pas vous mais moi, ça me fait penser à Carl Gustav Jung qui préconisait de même de laisser son âme se mettre à l'écoute des numina, de tous ces signes mystérieux dont on ne sait jamais s'ils viennent du ciel jusqu'à nous ou s'ils ne font traverser notre âme de sa partie la plus silencieuse à la plus discursive.


« Je voudrais montrer que cette forme d'angoisse non seulement n'est pas le signe d'une maladie psychique, mais qu'elle est, au contraire, la manifestation la plus concrète de l'évolution positive qui est en train de s'opérer dans l'individu. »


Ah ouais ? Carrément ? Michel Laroche nous dit que l'angoisse, non seulement n'est pas à rejeter dans la déchetterie de notre âme, mais encore doit être bénie pour le changement qu'elle annonce. L'angoisse serait ainsi le signe « de cette contradiction fondamentale et pourtant nécessaire entre la distance que doit prendre le chrétien par rapport au monde (il n'est pas de ce monde) et l'assumassion de celui-ci, comme le Christ assume sa Croix. »


Ah ouais, merde, j'ai oublié de vous dire que Michel Laroche est métropolite dans l'Eglise orthodoxe, je sais pas trop ce que ça veut dire mais c'est sans doute qu'il exerce une fonction de haute importance et qu'il s'y connaît en histoires religieuses. J'osais pas trop vous le dire dès le début de ma petite note parce que j'avais peur que tout le monde se casse en courant alors qu'en fait, on peut très bien lire ce bouquin qu'on soit agnostique, athée ou croyant. Après tout, l'angoisse, tout le monde la connaît.


N'avez-vous pas remarqué qu'à chaque fois que vous sentez l'angoisse monter en vous comme une petite salope courant à cul nu autour d'une piscine, vous essayez de la rationaliser en invoquant maintes causes extérieures ? C'est le boulot qui va pas, c'est Duduche qui n'a pas été gentil, c'est la ville qui est toute pourrie, avec ses gitans qui dépouillent les grands-mères à la sortie de l'Inter… Bon, ça peut être vrai, le monde peut être salaud avec nous, mais l'angoisse ne se situe-t-elle pas ailleurs, n'est-elle pas simplement cette sensation de déchirement qui torture quiconque se trouve à la croisée des chemins et n'arrive pas à se décider ? Pour Michel Laroche, cette croisée sépare le chemin de la vie pour le monde, avec tout ce que ça implique de putasserie, de corruption, de conformisme et d'illusion, et le chemin de la vie pour le Soi, avec tout ce que ça implique de solitude, de folie, de détermination et d'intégrité. Forcément, dit comme ça, le deuxième chemin fait bien plus envie. Mais il faut avoir des couilles pour le suivre. Et quand on ne les a pas, qu'on tortille du cul pour se trouver des bonnes excuses pour ne pas l'emprunter, alors l'angoisse nous submerge, manifestation de notre lâcheté et perfidie nous rendant toujours plus lâche.


« Déchiffrer le programme que Dieu a inscrit en nous, c'est accepter cette nouvelle naissance, ce silence sur soi, à l'opposé de toutes les affirmations du monde qui prônent justement une connaissance de soi, mais utilisent bien entendu les critères idéologiques et philosophiques de ce monde. »


Fuck le monde ! Pour Michel Laroche, c'est ça le christianisme, c'est encore plus punk que les punks à roulettes qui achètent leurs cds à la fnac. Et après ça, il nous donne bien sûr des exemples en nous racontant des histoires, celles des Pères du Désert de l'Eglise Orthodoxe. C'est sûr que c'est ciblé comme exemples mais enfin, la qualité ne se trouve pas dans la généralité, même si celle-ci en est une. L'angoisse, dans la religion, ça s'appelle plus souvent l'acédie et, dans sa forme atténuée, la déréliction. L'acédie, c'est de ne plus sentir la présence de Dieu et d'être plongé dans un temps enférique, où chaque seconde devient interminable. La déréliction, c'est la même chose, sauf que le temps ne semble pas forcément douloureusement long. La différence est subtile. Or, l'absence de Dieu, n'est-ce pas justement ce qui caractérise la condition de la plupart des hommes de notre époque ? On a souvent dit que c'est génial, notre société est laïque depuis plus d'un siècle, on s'en bat les couilles de Dieu ! Oui mais laïcité ne signifie pas forcément effacement de Dieu. Or, c'est ce qui s'est produit et on se retrouve là comme des cons, avec plus aucun refuge pour venir niaiser notre tristesse quand elle surgit. Michel Laroche nous suggère de nous verser dans la prière du Christ pour retrouver la présence de Dieu. Ce n'est qu'une suggestion, ne jouez pas les offensés : on ne peut pas demander à un métropolite de l'Eglise orthodoxe de nous recommander un concert de heavy metal pour aller au bout de notre angoisse existentielle. Moi je sais bien que la prière du Christ ne me fera pas tomber en extase du dépassement de l'angoisse, soit que je sois trop paresseuse pour me plonger dedans, soit que je sois possédée par le temps enférique de notre époque, soit que j'aspire à autre chose, alors je me cogne un peu à une impasse avec cette suggestion de pure orthodoxie qui, si elle produit des miracles parmi les métropolites, reste sans doute de bien faible efficience pour le commun des mortels. Si l'angoisse est déchirement entre l'être pour le monde et le Soi, même un pape en papamobile ne pourra pas interférer en faveur de ma transcendance.
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