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Critique de jullius


Quand c'est Latour (de contrôle ?) même qui demande « où atterrir ? », avouez qu'il y a de quoi s'inquiéter…
Cela dit, Latour propose tout de même une solution : atterrir sur terre, enfin sur le terrestre.

Au-delà de la blague, ce petit ouvrage du grand sociologue des sciences qu'est Latour mérite le détour. Mais m'inspire aussi quelques réticences.

Si je trouve que le diagnostic est bon – avant tout celui de politique fiction qu'il formule au début sur la stratégie de rupture décomplexée des élites financières voire politiques qui les servent, mais aussi celui qui concerne la nécessité d'un redécoupage des clivages politiques – je suis (bien) moins convaincu par les propositions qu'il formule. Proposer de nommer le terrestre ce qui devrait être le nouveau local (pour éviter les dérives « nationalo-identitaires »), je le comprends, mais cela me semble un voeu pieux : je trouve quelque peu malhonnête le portrait que fait Latour sur les risques d'un « retour » en force du local (si tant est qu'il avait d'ailleurs disparu) et notamment son assimilation à une forme d'obscurantisme identitaire.

Car le local ne se réaffirme pas que sous ce masque (même s'il existe et que, malheureusement, tout « localisme » a tendance à être réduit à cet forme d'exclusivisme et de fermeture aux autres – mais par qui ? précisément par des éditorialistes qui sont au service des élites « hors sol »), mais aussi sous celui, bien plus pertinent d'un désir de reconquête de la souveraineté que le global de la « mondialisation moins », comme il dit, a largement battu en brèche.
Et sa conviction dans le fait que l'Europe est la bonne échelle d'une « mondialisation plus », débarrassée de ses illusions et seule à même de lutter contre le local et ses oripeaux nationalistes les plus abjects, me semble vraiment très simplificateur : non seulement l'Europe n'a pas commencé à exister après le second conflit mondial (pour garantir la paix) mais (à l'inverse) elle a « commencé » au moment de la Conférence de Berlin (1885) dans ce grand partage de l'Afrique entre gouvernants blancs et puissants : un projet rien moins que pacifiste, pour les Africains et même pour les peuples européens. Car cette Europe-là, rapidement en crise face aux désordres sociaux de la soi-disant Belle Époque, n'a pas hésité à envoyer ses peuples non plus au charbon mais sous les déluges d'acier pour faire taire les aspirations révolutionnaires.

Croire que l'Europe est un projet pacifique me semble une parfaite foutaise. L'Europe n'a jamais été, ni de près ni de loin, un projet de rassemblement des peuples derrière un projet de paix universelle (affiche de propagande qui ne berne que ceux qui veulent y croire), mais est une stratégie de gestion des obstacles de l'impérialisme capitaliste de ses élites. Croire que l'« Europe » peut devenir autre chose, qu'elle puisse soudain se parer de bons sentiments (politiques et écologiques) et que les peuples y verront soudain la lumière tant attendue (eux qui ont été bernés depuis près de 150 ans sur le sujet – ce que Latour reconnaît d'ailleurs honnêtement, mais comment faire autrement…), c'est effectivement, comme il l'admet (mais sans doute avec un peu de fausse modestie puisque l'objet de son ouvrage est bien politique), être bien « fragile » comme analyste du politique (au sens moins de l'étude des rapports de pouvoirs – science politique à papa - que de celui de l'étude des liens sociaux – la politique au sens premier du terme, et une science politique, donc, qui se nourrit de toutes les sciences humaines).

Finalement, qui a besoin d'atterrir ? Précisément ces élites qu'il identifie justement comme « hors-sol ». La plupart des individus, eux, ceux qui n'ont donc pas de pouvoir, réclament qu'on cesse de les obliger à décoller (pour le pays imaginaire du « libéralisme » où la dernière liberté qui leur reste est d'aller se faire exploiter par des multinationales dont l'universalisme n'est rien d'autre qu'un United Colors of Benetton - fait pour gagner du fric) : non pas par racisme (même s'il en est parmi ceux-là, il ne faudrait pas non plus être angélique) mais parce que sans « enracinement », comme disait Simone Weil, l'homme se perd… et avec lui, toute politique (être ensemble) digne de ce nom.
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