Citations sur Là où la caravane passe (19)
Le malheur de l’homme moderne, c’était qu’il s’était dit qu’il devait faire des choix et non prendre des décisions, voilà ce que je me répétais, et là où la décision pousse sur une terre déjà irriguée, celle du choix, on en arrache les racines préexistantes, les forces nourricières qui alimentent une tige plus épaisse et plus droite. Cette tige dont le destin est le tuteur.
C'étaient des drôles, Pepino et Diego. La folie, elle avoisine toujours la raison dans l'âme d'un gitan, à force de balancer entre les légendes et la vie tangible, à force de parler des esprits des anciens et de vivre au contact de la nature, à force de rien prendre au tragique et d'enchanter n'importe quelle situation sans y voir seulement de quoi gagner son pain. Cette douce folie, ces organes déliquescents de la bande, on s'en accommodait dirons-nous. (p. 67)
Le problème dans le monde du livre, c’est l’étiquette sous laquelle on te range. Y en a, à force d’être catalogués et de vendre une image qui fonctionne auprès du public, ils se sont enfermés dans un rôle qui les a bouffés.
Le principal, c’est d’inculquer à un gitan dès son enfance l’idée de loyauté, de respect de la femme, des aînés et de la parole donnée. L’idée, c’est de lui faire sentir, par le continuel mouvement le berçant dès son plus jeune âge, qu’au final il est complètement libre et que sa seule attache, elle est morale.
Voici le souvenir premier que j’ai du voyageur, le souvenir de la première fois où je l’ai vu et connu, parce qu’après, comme le disait ma mère, dès la deuxième fois que tu vois un homme sa nature t’a déjà échappé.
(...) et elle est allée chercher un petit couteau enveloppé dans un mouchoir de soie noire. "C'est pour toi", m'a dit madame Sido en me le tendant, "mon père voudrait que tu le gardes. Il dit que ça t'aidera à le reconnaître s'Il est dans les parages." "oh, ça peut jamais faire de mal", que j'ai plaisanté en fouillant mes poches pour lui donner une pièce en échange et en les laissant tous les deux sur le pas de la porte, tandis qu'ils nous faisaient de ces grands signes d'au revoir qu'on ne retrouve plus que dans les campagnes et chez les vieilles personnes. (p. 41)
D'ailleurs, les habitants de Lourdes, ils savaient bien que ceux qui posaient problème, c'étaient pas les vieux qui étaient de vrais croyants, et même bien plus qu'eux tous qui faisaient de l'argent sur le dos de la religion. Les commerçants de Lourdes, pour moi c'était l'image d'Epinal de la main qui était tendue mais seulement au moment d'encaisser le client. (p. 112)
Son visage n’était pas vieux, la cinquantaine peut-être, mais ce qu’y avait dans ses yeux en revanche, ça n’avait pas d’âge.
Elle vénérait son frère, Antonine, elle l'admirait comme le héros de sa vie, celui qui s'était occupé d'elle, qui l'avait protégée, élevée et elle voyait son ascension comme un pied de nez aux villageois qui disaient "tel père, tel fils". Rapidement, elle a eu besoin de temps pour entretenir la belle maison qu'il avait surélevée d'un étage, recimentée et peinte en blanc, et elle a arrêté ses à-côtés. Fière comme Artaban, quand on la croisait, c'était comme une ancienne esclave qui aurait gagné sa liberté. Elle était pas belle à proprement parler, Antonine, mais elle avait quelque chose qui tenait à cette volonté, à cette force et à cet orgueil qui bouillonnaient et qui lui donnaient quelque chose d'une héroïne espagnole. (p.104)
Son regard, c’étaient deux billes regorgeant d’une couleur trop présente pour qu’un être humain puisse la supporter à lui tout seul.