Fallait que je vienne ici à Auschwitz pour me poser des questions sur mes origines et sur mon père.
-T'es bizarre comme fille, c'est pas que t'es pas sympa, mais...
Je lève un sourcil avec un demi-sourire.
-T'es glaciale.
Il a lâché ça d'un coup, comme si ça lui brûlait les lèvres mais qu'il n'arrivait pas à le laisser sortir.
[...]
J'hésite entre rigoler, me fâcher et lui prendre la main. En fait, je fais rien de tout ça. je dis simplement:
-Ouais, je suis tombée dans un frigo quand j'étais petite.
-Tu pleures ?
-Ça va pas, non ?
-Ben, si, je vois bien
-C'est le vent
-Ouais, c'est ça, et ma mère, c'est le pape !
-T'en as de la chance !
Il rigole.
J'aimerais bien pouvoir me dire qu'on est tous des êtres humains, et voilà tout. Mais j'ai la sensation qu'être juif, ou fille de juif, ça implique de porter un bagage plus lourd que les autres.
- C'est quoi, ces valises ?
- Les valises des gens ; ils arrivaient en train avec leurs bagages et ils écrivaient leur nom dessus pour les retrouver après, mais... on leur rendait pas. On leur prenait tout, les sacs, les cheveux, les bijoux, les... les enfants. La vie.
- C'est ta mère ?
- C'est ma mère.
- Elle est drôlement belle.
Je sursaute presque. Je n'avais jamais pensé à elle comme à quelqu'un de beau ou pas beau. C'était juste ma mère.
La première partie du livre est un chant. "Je suis de ces enfants qui frémissent quand le vent apporte les cris des oiseaux à leurs oreilles démesurées..." J'y entends des symphonies, des hurlements de loups, des grattements d'insectes.
La deuxième partie est brutal et sans concession. "A la fois fils de youpin et fils de boche." J'y plonge comme dans un étang glacé, les algues entravent mes jambes, je me débats, je suffoque. Je lis comme en apnée. Jusque tard dans la nuit. J'arrive au bout du voyage avec les yeux brûlants, les paupières râpeuses, la bouche sèche... essoufflée comme si j'avais marché tout le long de la frontière entre l'Allemagne et la France, le cou et les pieds nus.