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Critique de ATOS




« Voulez-vous (d'un destin trop dur
Épouvantable et clair emblème !)
Montrer que dans la fosse même
Le sommeil promis n'est pas sûr ; »...
Charles Baudelaire, « Le squelette laboureur », les fleurs du mal.
Histoire et historicité des représentations de l'écorché et exercice du carnet. Comme le rappelle l'auteur « l'anatomie est une manifestation forte de la culture occidentale qui prend racine dans la Grèce ancienne ». Corps ouvert, livré et regardé.ps possédé. Quel rapport entretient l'anatomie médicale et artistique à travers les siècles ?
De Vesale, à de Vinci, de Michel Ange à Vasari...
« Ouvrir des cadavres pour dessiner les formes extérieurs vivantes. » ,cela, effectivement peu étonner.
Expliquer la plasticité extérieur par une meilleure compréhension de l'invisible ?….
A- t-on besoin de dessiner l'atome pour peindre une montagne… ? Je me permets de me questionner.
Et si effectivement le fait de disséquer était une manifestation culturelle. Un fait.
Depuis des millénaire l'humain cherche à posséder ce qui lui échappe.
L'infini... qu'il soit grand ou petit. …
490 avant JC : Empédocle d'Agrigente, fut l'un des premiers à ouvrir le livre de la chair comme on ouvre la carte du ciel. Car on n' a pas disséqué pour les mêmes raison à travers les âges.
On n ‘a pas autopsié, que ce soit les corps, les âmes et le monde ( regardé de ses propres yeux) de la même façon à travers les âges.
La vision fut tout d'abord cosmologique. L'homme étant rattaché aux éléments on ne pouvait que lire en lui les preuves et le logement de cette union.
Ainsi naquit la théorie des humeurs. ...Puis la vision de homme se transforma.
Anatomisé la mort par arriver à atomiser le vivant.
Plus de scalpel , plus de chair morte, depuis le 20e siècle nous disséquons le vivant, par rayons, par protons, par ondes. Nous livrant une autre dimension de notre intériorité.
Mais il est surtout intéressant de réaliser, à la lecture de ce livre extrêmement bien illustré, la vision que reflète ces représentations artistiques qui ont nourrit la médecine occidentale.
L'écorché est de type caucasien, de genre masculin. La norme est l'homme, la femme est une particularité. Une totalité pour l'homme, une matrice pour la femme...
Le canon de la beauté est la règle. On recherche une représentation parfaite du corps. Il se doit d'être tel un dieu grec. Les muscles sont à la mesure de la force que se doit de revêtir l'homme. Ainsi projetons nous pour des siècles l'allégorie d'une culture occidentale qui se déclarait parfaite.
Les « monstruosités » se logeant dans le registre des cabinets de curiosités ou musée de cires.
On s'octroyait le droit sur les corps. Suppliciés, vagabonds, condamnés à mort, indigents des hospices. On déterrait, on volait parfois, et même on chassait ...
On achetait, aussi, souvent. On négociait, on pactisait, si ce n'est avec le diable, le plus souvent avec le clergé.
Réaliser que ce qui est représenté là n'est que le langage d'une dépossession de l'intégrité de corps ouvre à notre esprit la connaissance de sombres horizons. Mais les planches d'étude sont là. Parfois terrifiantes, réalistes, morbides, parfois poétiques, baroques, burlesques, macabres, mélancoliques, parfois grotesques, ...géométriques, mécaniques, numérisables,...numérisées ...depuis toujours.
Art figuratif au service d'un savoir scientifique. Soit. Mais à la lecture de cet ouvrage je me demande si ce fait culturel, n'est pas le signe d'une volonté de faire disparaître l'invisible. de ke combattre, de la détruire. En cela le réalisme est selon moi peut être vu comme l'expression la moins artistique possible...Mais c'est là mon seul point de vue.
La démarche de Kiki Smith avec son écorchée représentant Marie, prend à la lecture de ce livre, même si l'auteur ne l'a pas mentionné, toute sa dimension., une place dans l'histoire du fait culturel que représente l'art « anatomiste ». Et je suis frappée par l'intelligence de sa démarche. Car cette artiste est partie d'un morcellement des corps pour peu à peu rejoindre une vision cosmologique du vivant. Elle a donc inversé le processus artistique qui était culturellement établi, produisant un basculement dans la représentation du vivant, et de la mort.La déprogrammation d'une altérité.
L'art peut être visionnaire mais il se doit d'être révolutionnaire.
Un bel ouvrage qui nous permet d'appréhender d'une autre façon, d'un autre regard, ce qui depuis des siècles nourrit l'art occidental. Il nous interroge sur le contenu et le continiuum des images produites. Sur leur geste, leur langage.
La deuxième partie de l'ouvrage, un magistral leporello de onze planches, est un régal pour notre mémoire, notre connaissance, notre regard.

« Dans les planches d'anatomie
Qui traînent sur ces quais poudreux
Où maint livre cadavéreux
Dort comme une antique momie,

Dessins auxquels la gravité
Et le savoir d'un vieil artiste,
Bien que le sujet en soit triste,
Ont communiqué la Beauté,

On voit, ce qui rend plus complètes
Ces mystérieuses horreurs,
Bêchant comme des laboureurs,
Des Écorchés et des Squelettes.

II

De ce terrain que vous fouillez,
Manants résignés et funèbres,
De tout l'effort de vos vertèbres,
Ou de vos muscles dépouillés,

Dites, quelle moisson étrange,
Forçats arrachés au charnier,
Tirez-vous, et de quel fermier
Avez-vous à remplir la grange ?

Voulez-vous (d'un destin trop dur
Épouvantable et clair emblème !)
Montrer que dans la fosse même
Le sommeil promis n'est pas sûr ;

Qu'envers nous le Néant est traître ;
Que tout, même la Mort, nous ment,
Et que sempiternellement,
Hélas ! il nous faudra peut-être

Dans quelque pays inconnu
Écorcher la terre revêche
Et pousser une lourde bêche
Sous notre pied sanglant et nu ? »
Le squelette laboureur, Charles Baudelaire.


Astrid Shriqui Garain
Masse critique 12.2019. Editions Eyrolles. Babelio.

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