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Critique de oblo


Publié en pleine Seconde Guerre mondiale alors que l'Islande, à peine autonome du Danemark et bientôt officiellement indépendante, sert de base aux Etats-Unis, c'est-à-dire entre 1943 et 1946, La cloche d'Islande est non seulement le roman le plus connu de Halldor Laxness mais aussi tout à la fois un roman historique et une ode à la liberté fondamentale et inhérente aux Islandais.

La cloche d'Islande retrace les trajectoires de trois personnages représentant chacun une part de l'âme islandaise et qui, chacun à leur manière et selon, ou contre, leurs volontés, seront pris dans les tourments politiques d'une île magnifique et misérable. Magnifique, puisque les paysages décrits par Laxness rendent compte d'une nature tout à la fois hostile et poétique et qui font croire que si les dieux existent, l'Islande ne peut être que leur oeuvre. Misérable puisque l'île est dépendante du Danemark qui ne sait que faire de cette possession lointaine, peuplée de gens à la limite de l'humanité selon les Danois, où l'on se bat pour un bout de corde ou une tête de requin pourrie.

La première partie a pour personnage central Jon Hreggvidson, voleur de corde, engagé pour détacher la fameuse cloche d'Islande qui sonnait aux temps anciens pour les réunions de l'Althing (Parlement islandais où l'on traite des affaires de politique et de justice) et qui tue, ou non (jamais on ne le saura), le bourreau du roi danois. Condamné à mort par le gouverneur Eydalin, il est sauvé in extremis par le caprice de la fille de ce dernier, laquelle l'envoie ensuite au Danemark porter un gage d'amour à Arnas Arnaeus, commissaire du roi en Islande et grand collectionneur de livres. Echouant en Hollande, passant en Allemagne, Hreggvidson finit par arriver au Danemark mais Arnaeus refuse le gage d'amour, préoccupé seulement par ses livres.

La deuxième partie se focalise sur Snaefrid, la fille du gouverneur Eydalin. Mariée à un obscur junker qui joue ses biens, puis son domaine et enfin son épouse contre de l'eau-de-vie, courtisée par l'archiprêtre Sveinson, sorte d'archétype de l'austérité protestante qui refuse la vie et l'amour malgré son idéologie chrétienne, Snaefrid, surnommée le soleil de l'Islande, doit surtout faire face au dilemme que représente le retour d'Arnaeus sur l'île. Celui-ci est chargé de revoir les procès et les verdicts rendus par Eydalin, matérialisant ainsi le pouvoir du roi du Danemark sur l'île. Parmi les procès révisés, celui de Jon Hreggvidson est le seul sur lequel plane encore l'ambiguité. Cette deuxième partie montre le prix à payer pour la liberté. Pour Snaefrid, cela passe par la chute des siens et la solitude absolue.

Dans la troisième partie, Arnas Arnaeus est sollicité par les Hambourgeois pour devenir le gouverneur de l'Islande, étant entendu que les Danois souhaitent vendre l'île. Scientifique et intellectuel, Arnaeus est aussi un idéaliste qui imagine redonner son honneur à l'Islande, faisant de l'île une république pour ainsi dire indépendante, dans la lignée des anciens colons qui fondèrent là, entre l'Europe et l'Amérique (qu'ils visitèrent et colonisèrent !) un modèle politique unique, et dont le travail incessant de copistes sauvegarda à lui seul le patrimoine littéraire et mythologique scandinave.

Jon Hreggvidson, ce voleur et père indigne, cet assassin même, est au centre de la tension qui unit en même temps qu'elle atomise Snaefrid Eydalin et Arnas Arnaeus. Tension amoureuse qui unit trente ans durant deux personnages qui comptent parmi l'élite islandaise. Amour jamais satisfait, et qui pourtant dure et rapproche inexorablement les deux amants. Tension politique, aussi, qui les désunit, Arnaeus souffrant de sa position de commissaire du roi qui le place au-dessus de la mêlée politique islandaise et le conduit à bouleverser l'équilibre de la société. Tour à tour heureux messager des promesses d'amour et objet que la justice islandaise - et à travers elle, Arnas Arnaeus et Snaefrid - se déchire, Jon Hreggvidson est pourtant le seul personnage immuable - au sens : que n'atteignent pas les événements - du livre, solide fermier du Christ comme il aime à se décrire, indécrottable réciteur des rimes de Pontus, peau tannée par les coups et le rude climat.

Outre sa profondeur d'analyse, son goût pour l'histoire et l'anecdote, outre cette formidable capacité à tirer de l'histoire tragique une réflexion sur l'âme islandaise et la liberté, La cloche d'Islande est un livre qui marque par la profusion de l'écriture, son humour (quelques scènes cocasses tout de même !), sa structure aussi, très équilibrée, et dans laquelle pourtant les rythmes et les procédés changent. Laxness ajoute ainsi au conte philosophique voltairien (Hreggvidsen comme nouveau Candide dans la première partie) une dose de tragédie grecque dans laquelle les dieux d'Asgard semblent se rire de la destinée de l'île et des trois personnages centraux du livre.
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