Paul Manacoeur

Le soir venu, je remis mon texte, et fus reçu par François-Xavier Ortoli comme il s’y était engagé. Ortoli était un homme exquis, d’une intelligence rare. Il jouissait d’une très grande popularité à Matignon, tant au sein du cabinet qu’il dirigeait qu’auprès de l’administration, et même du « petit personnel » envers qui il se montrait aussi attentionné qu’avec les Ministres. Le masque sévère que son visage composait parfois était dicté par ses fonctions ; mais cette carapace rugueuse était superficielle, et dissimulait mal sa jovialité et sa profonde bonté. 

« — Juliette ?
Paul eut alors une réaction inattendue. Il leva les yeux au ciel, puis son regard revint sur Juliette, et il fit « non » de la tête. Il répéta une nouvelle fois : « Julie », en insistant sur cette dernière syllabe. Les mots s’étranglaient dans sa gorge, sa voix n’était qu’un souffle, mais il n’y avait pas de confusion possible : c’était bien ce prénom qu’il voulait prononcer.
— Papi, je ne comprends pas ce que tu me dis… c’est qui, Julie ? Moi c’est Juliette, tu te souviens ? »