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12 novembre 2019
L'islamophobie savante parée des atours de la recherche érudite

Février 1862, Collège de France, des caractérisations de l'Orient musulman et de l'islam, « Contribution significative, mais peu originale en fait, apportée par ce professeur à l'invention d'un Orient islamisé réputé par nature obscurantiste, hostile au progrès et ennemi d'un Occident pensé comme l'unique moteur de l'histoire universelle », l'apologie d'une civilisation et de sa supériorité qui « l'autorise à soumettre les peuples et les races arriérées pour les soustraire à leur stagnation multiséculaire »…

En lisant l'introduction, je me suis projeté dans le temps et les analyses de Johann Chapoutot sur le nazisme, la construction savante de la légitimité des crimes et de leur juste nécessité.

« Depuis que la religion musulmane, en raison de l'actualité nationale et internationale, est pensée par beaucoup comme un problème majeur posé à la France, à l'Europe et à l'Occident, les thèses d'Ernest Renan sont fréquemment invoquées ». Dans son introduction, Olivier le Cour Grandmaison aborde, entre autres, l'islam, l'islamisme, l'islamophobie, l'essence supposée « de leur religion et de leur civilisation », les orientations coloniales, les dispositions d'exception, les représentations, « l'objet de ce livre n'est pas l'islam, comme civilisation et religion, son histoire et celle des musulmans vivant dans les possessions françaises à l'époque coloniale. Il s'agit d'étudier les représentations savantes, communes parfois aussi, qui ont été élaborées au cour de cette période », des écrits de spécialistes « scientifiques », de politiques et de représentants de l'appareil d'Etat, d'écrivains connus, « Les représentations d'origine diverses, qui font de l'islam une religion inférieure et dangereuse, ont ainsi favorisé l'avènement d'un « régime de vérité » puissant et longtemps persistant puisqu'il a perduré dans des disciplines comme la psychologie ethnique et la démographie, jusqu'aux années 1960 ».

Je souligne que ces dignitaires, encore largement célébrés, ne pensent qu'en termes d'unité fantasmée, sans histoire et sans contradiction, à la fois la religion aux multiples facettes et préceptes et les différentes et variées populations s'y référant sous le terme nivelant de mahométan…

« Quelles furent la genèse de ce « régime de vérité », les évolutions de celles et ceux qui ont contribué à sa construction comme à sa pérennité, et leur influence sur les politiques « musulmanes » de la France ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous entendons répondre ». Olivier le Cour Grandmaison poursuit avec Ernest Renan, « Pour la raison humaine, l'islamisme n'a été que nuisible », la hiérarchisation des cultures, l'autorité d'un membre du Collège de France, « Remarquable expression de la force des préjugés à l'endroit des musulmans, de leur religion, de leur civilisation et de leur histoire, constitutifs d'une islamophobie savante parée des atours de la recherche érudite ? ». Mais quelques voix discordances se sont élevées, sans effets notoire sur les travaux des savants colonialistes. Il ne faut pas oublier qu'entre 1881 et 1912, « les Républicains ont fait de l'hexagone la deuxième puissance impériale du monde »…

La construction de l'empire, les mutations académiques, l'évolution de disciplines… L'auteur parle de « convertir des connaissances académiques ou jugées telles en savoirs experts et, in fine, en pouvoir, d'autant plus légitimes que leurs producteurs appartiennent au champ universitaire ou sont des acteurs importants de l'administrations coloniale, connus pour le sérieux de leurs travaux et leur longue expérience ».

Olivier le Cour Grandmaison aborde aussi, les « politiques musulmanes », le service « des intérêts coloniaux et internationaux du pays », celles et ceux qui sont jugé·es « inférieurs et dangereux pour la stabilité de la domination française », la psychologie « ethnique », les portraits dressés de « l'« arabe musulman » en barbare », celles et ceux qui sont relégué·es « au plus bas de la hiérarchie du genre humain », l'altérisation radicale, « Altérisés de façon radicale, c'est-à-dire anéantis en tant que semblables égaux en droit comme en dignité, puis infériorisés, les musulmans se voient imputer une dangerosité polymorphe d'autant plus inquiétante qu'elle affecte, à cause de cela, tous les registres de la vie », un déterminisme qui subjuguerait et façonnerait irrémédiablement, « l'islamophobie savante de la fin du XIXe siècle et ses avatars ultérieurs peuvent s'analyser comme une forme spécifique de racisme différentialiste et inégalitaire qui essentialise et éternise les traits réels ou supposés imputés aux musulmans », l'intensité de l'exécration, la hantise du péril vénérien et de la « corruption des sangs », la surveillance spécifique, les dispositions et pratiques d'exception…



Table des matières

Introduction

Islam, islamisme, islamophobie

« Pour la raison humaine, l'islamisme n'a été que nuisible »

La France en terre d'islam

Quelle « politique musulmane » ?

Petit portait de l'« Arabe musulman » en barbare

1. La République impériale : « une grande puissance musulmane »
Des millions de « sujets » et de « protégés musulmans »
La France en Afrique du Nord : poursuivre l'expansion
Colonisation et islamisation de l'Afrique française
L'islam : la religion des races et des peuples inférieurs
Remarque 1. de l'islamophobie savante à l'époque coloniale à l'islamophobie contemporaine
2. Victoires coloniales et « péril » islamiste
Fonder une science pratique de la religion et des sociétés musulmanes
Les politiques musulmanes à l'épreuve
3. Morale musulmane et arriération
Fatalisme et pauvreté
L'« influence déprimante de l'islam »
4. Islam : « sensualisme » et sexualités coupables des musulman·e·s
Polygamie, hypersexualité et criminalité indigènes
Inversion, perversions et conquête de « la musulmane »
Remarque 2. du mythe orientaliste du « musulman » et de « la musulmane » au mythe contemporain de « la beurette »

5. Islamophobie, gouvernement des « musulmans » et droit colonial
« La force, telle est notre raison d'être »
La Mecque : le « sanctuaire du fanatisme »
Islamophobie et dispositions d'exception
Conclusion

J'ai fait le choix de n'aborder que l'introduction. Il faut lire et discuter de ce livre, prendre en compte les différentes déclinaisons de l'islamophobie, son histoire profonde, souligner le rôle des savants et intellectuels dans la construction d'une soi-disant supériorité d'une civilisation et d'une hiérarchie des populations, revenir sur la consubstantialité de la république française avec l'impérialisme et le colonialisme, comprendre les liens entre le passé et l'obsession islamophobe d'aujourd'hui… Sans oublier la littérature et les récits racistes et sexistes d'écrivains toujours valorisés.

Je souligne quelques éléments de la conclusion. Olivier le Cour Grandmaison revient sur le contexte « scientifique, académique et politique », des formes d'islamophobie – savante et élitaire, populaire ou souhaitée telle -, des dispositions discriminatoires, la construction du roman national, l'oubli ou la marginalisation « des discours et des textes critiques de l'époque alors que leurs auteurs furent souvent célèbres et que certains d'entre eux demeurent des figures exemplaires du régime républicain », la réalisation obstinée et souvent meurtrière de la République impériale, les doctrines relatives à l'inégalité des races, les conceptions hiérarchisées du genre humain, le sinistre relativisme « qui est principe d'une conception purement instrumentale et illibérale du droit colonial », la réduction blanche et chrétienne de la citoyenneté et de la capacité à jouir des droits humains fondamentaux.

« Sordidement racistes, sordidement islamophobes, aussi, sont ces conceptions qui ont longtemps fait florès. Islam ? O phobie ! »

Au panthéon des intellectuels, sur des statues équestres ou non, dans une toponymie coloniale des noms de rues… des assassins, des criminels, des sabreurs et leurs idéologues… L'infamie se poursuit aussi sur les frontons d'écoles et lycées. La glorification de la colonisation nous entoure et nous enserre encore et encore…
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