Quand finalement j'ai rendu visite à Tim, mais alors tout était déjà fini, il m'a écoutée longuement et, avec sa grande sagesse, avec l'infinie sagesse qui est la sienne, qu'il puise dans les livres et dans sa grande expérience de la vie, infiniment plus vaste que la mienne, il m'a dit : il n'y a pas de solution. Le désir est un mouvement, libre, sans concession. Le désir est une courtisane. Il faut l'accepter. Choisir de suivre la vague, être emporté sur sa crête, et accepter la peur, la chute, la blessure ; ou la laisser passer, attendre qu'elle nous recouvre, puis qu'elle disparaisse. L'amour est une ombre errante, insatiable, capricieuse et infidèle.
Connaissez-vous ces moments intimes où l'on éprouve le grave sens du mont "désormais"? Ces moments où les compteurs se remettent à zéro. On a alors la conscience aiguë d'un basculement, d'un angle choisi dans le chemin de la vie, d'une entaille percée au canif dans la peau de la vie.
Moi, je viens justement nager pour enfiler des perles. Nager n'est pas le but en soi ; c'est l'espace qui libère la pensée, tenue en éveil par l'exercice du corps, en lui offrant une étendue d'expression saine et salutaire, en dehors des aliénations du ressassement et de l'apitoiement. Et l'enfilade des longueurs dans les lignes d'eau s'accorde avec l'enfilade des jours, et ne fait ainsi que rejouer la progression immuable du temps, à chaque battement de mes bras qui repoussent le courant derrière moi, à chaque respiration prise pour mieux replonger, à chaque expiration profonde, tumultueuse, dans le bouillonnement de l'eau, et n'avez vous jamais pensé que dans la vie tout est question de souffle, de rythme, de respiration, de synchronicité de l'air, de l'eau et du corps, du mouvement de l'un imprégnant, modelant le rythme de l'autre, d'une harmonie de soi dans les éléments à trouver et à révéler ?
Il aimait chercher les réseaux de signification à l'oeuvre dans les grands textes comme dans la vie, les portes dérobées, les passages secrets qui donnent accès aux révélations du mystère de l'être.
Mais n'oubliez pas que moi, je me savais transparente. Une sorte d'observateur blanc qui ne laisse aucune marque dans les esprits. Aucun souvenir. Comme si je recevais sans jamais rien donner. Etre l'observateur pur. C'est un pouvoir et c'est une souffrance. Car pouvez-vous comprendre ce besoin infini, ce puissant besoin de donner, qui est peut-être le simple corollaire du besoin d'exister? Avoir la confirmation de sa présence au monde nécessite un témoin, un regard porté. Une véritable attention. Ma transparence au monde me trouble. J'y vois la preuve répétée de mon inconsistance.
« Tu n’es aimé que lorsque tu peux montrer ta faiblesse sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force. » Theodor Adorno
Parcourir la terre comme on grignote un gâteau immense, par petits bouts, faisant de la plénitude sensorielle une fin en soi, l’accomplissement même de l’existence en même temps que sa justification.
Les deux faces d'une même médaille que sont l'aspiration à l'intensité et son corollaire : l'insatisfaction essentielle et permanente.
Car pouvez-vous comprendre ce besoin infini, ce puissant besoin de donner, qui est peut-être le simple corollaire du besoin d'exister ? D'éprouver une vérité d'être. Avoir la confirmation de sa présence au monde, nécessite un témoin, un regard porté. Une véritable attention. Ma transparence me trouble. J'y vois la preuve répétée de mon inconsistance.
On empaquette tout ce qui nous est cher, les objets, les livres, et on prend conscience qu'on perdure en dépit de leur absence, et même que cela nous permet peut-être de nous définir en dehors de l'espace qu'ils dessinent. Que sommes-nous quand nous nous retrouvons sans les objets qui nous définissent ?