LA VIE FRAGILE
A la nuit,
Le gel avait pris la rivière.
Une fine poussière blanche
Couvrait encore la glace.
Deux renards avaient joué là.
Les traces du premier remontaient la rive
Celles du second le cours d'eau.
Empreintes fantomatiques.
Mémoire.
La vie en creux:
Autant d'absence que de présence.
Fleurs pâles
Ciselées,
Délicates,
A la merci du moindre souffle,
Du soleil qui se lève,
Des secondes.
(...) les deux soifs qu'on ne peut tromper longtemps sans que l'être se dessèche. Je veux dire aimer et admirer.
Albert Camus-" Retour à Tipasa"
LES RENARDS GRIS
Nous vivons à la dérobée,
À l'écart du village,
Des chemins, des lisières.
Funambules apeurés puis légers,
Précaires mais vivants.
La pluie, le froid
Nous traversent moins
Que les cris des chiens,
Des hommes.
(...)Le sentier se perd: nous dansons.
De nos pattes sombres, délicates,
Nous inscrivons nos jours.
Nous laissons trace.
Légère et blanche : nos amours dans la neige.
A peine visible sur la terre noire:
Le souvenir d'instants calmes, suspendus, Délivrés d'inquiétude.
Reconnus par nous seuls:
Nos jeux avec des papillons,
Une plume de geai,
Une petite branche.
Le bleu du ciel inonde nos âmes
Et dans nos yeux
Miroite
L'automne.
( p.21)
Tanière..
Dans la fange,
Une barque grise.
A la dérive...
Sous la coque,
Deux renardeaux,
Rêveurs.
La souche
Prend eau de toutes parts
Mais le lieu est sûr,
D'accès mal commode,
Ignoré des fâcheux...
Par déluge,
Un terrier bien plus sec,
En bord de futaie,
Sauverait du naufrage
Les moussaillons
( p.22)
DANSE AVEC LA PLUIE
Lors d'une averse après des jours de sécheresse, il arrive que la chevêche ne cherche pas à s'abriter.
Elle peut " choisir la pluie", s'offrir à elle, en déployant ses ailes et tournoyant.
L'oiseau devient chamane.
Ce qu'il semble transmettre alors est une forme de joie.
( p.129)
LA DISCRÈTE
Des enfants jouent.
Le souffle d'un vieil homme
S'affaiblit
Allées et venues,
Amours furtives,
Misères et joies.
Colères de brutes,
Retour d'ivrognes.
À voir la nuit
Comme le jour,
Vivre
Si près des humains,
La chevêche
N'ignore rien
Du hameau.
Elle ne juge
Rien.
Le silence
Est sa règle.
Hors ving- deux cris
Sauvages,
Parfois flûtés,
Que l'homme
Ne comprend guère...
( p.110)
LE VIEIL ARBRE
Un poirier creux
Servait de refuge aux oiseaux
La plupart de ses branches
Avaient rendu l'âme,
Comme font les vergers.
Avec délicatesse
Une jument lasse
Y venait
Frotter ses flancs.
Alentour, les chevêches
L'observaient, en silence.
( p.125)
La raison perdue de John Clare
" Qu'on laisse à chacun l'allée
forestière "- John Clare
Parce que " par nature, elles n'appartiennent pas", les forêts ne peuvent être que dévastées par le droit de propriété. Né en 1793 au cœur de l'Angleterre, John Clare est considéré comme l'un des grands poètes britanniques. Chantre simple de la nature, pauvre, peu instruit, il évitait toute ponctuation. Il meurt à septante ans Il en a passé vingt-sept ans dans un asile, autorisé toutefois à se promener dans les bois. Son œuvre lumineuse est également saluée pour sa cohérence.
Dans un très bel essai sur l'imaginaire de la forêt en Occident, Robert Harrison consacre un chapitre à cet auteur qui " prenait le parti de tout ce qui était en définitive libre et vulnérable ", le hérisson, le renard, le blaireau, les oiseaux, plus largement les animaux et végétaux sans défense devant l'homme.Il y défend la thèse que la " folie" de John Clare n'est, chez un homme incapable de révolte extériorisée, que la conséquence logique, admirablement intègre, d'une tension entre deux pôles contradictoires.
( p.159)
La forêt est un état d'âme.
Gaston Bachelard
L'ARBRE-AIMANT
On appelle "arbre-aimant" d'une chauve-souris celui qu'elle affectionne et qui lui sert de refuge principal.