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Critique de Zebra


Sur le Net, « La Vie hors-champ » de Gérard Lecas est catalogué dans les livres rares. Ce n'est par coquetterie que je me suis procuré cet ouvrage mais par hasard, en passant devant un bouquiniste qui le proposait en livre d'occasion contre la modique somme de 3 euros. La couverture n'avait rien d'extraordinaire, l'auteur m'était inconnu mais le titre m'a séduit, et j'ai bien fait car j'ai pris du plaisir à lire cette petite merveille, plaisir que je vais tenter de vous faire partager.

« La Vie hors-champ » est un recueil assez court (207 pages) de 7 nouvelles. Nous savons tous que ce n'est pas l'histoire qui est courte dans la nouvelle mais plutôt la façon de la raconter. Comme dans le cinéma, il y a dans la nouvelle un espace hors-champ, disons plutôt un espace hors-texte, qui est laissé à l'imagination du lecteur. Dans la nouvelle, le lecteur est interpellé comme témoin, voire comme complice. Quand on lui dit « c'était une maison dans la campagne », il ne s'agit pas d'une description mais d'une interpellation : le lecteur est mis au défi de rentrer dans le jeu de l'écrivain et d'insérer lui-même, en lieu et place du non-dit, l'image de sa propre maison de campagne, et tout ce qui va avec l'image, à savoir les couleurs, les odeurs, les sensations, etc. Dans la nouvelle, il n'y a pas de longs exposés sur la lumière du couchant qui va se fondre dans le papier peint de la chambre de la grand-mère, ni sur le goût des madeleines au petit-déjeuner. Non, une « maison dans la campagne » c'est une maison dans la campagne, un point c'est tout. Dans la nouvelle, il n'y a pas de pavé relié, grand format, ni de saga en douze tomes, et l'auteur ne se range pas du côté des « verbeux à rallonges », des adorateurs de qualificatifs précieux, des producteurs de descriptifs délirants qui font d'un simple bulletin météo un véritable roman. Dans la nouvelle, il y a un agrégat d'individus qui piétinent aux frontières du champ littéraire : ces individus appartiennent à un espace diversifié et structuré, à un champ, à la fois subordonné au champ littéraire et susceptible d'y donner accès. Dans chacune des nouvelles de « La Vie hors-champ », les personnages dessinent un petit monde relativement clos mais assez diversifié pour pouvoir fonctionner comme dans un champ cinématographique ou télévisuel, avec une distribution, des rôles, des institutions, des consécrations, une hiérarchie, des luttes et des enjeux de pouvoir. Mais, en dehors du rôle qu'ils ont au cinéma ou à la TV, ces individus ont une vie personnelle qui leur est propre : ils vivent donc à la fois « en champ » et « hors champ », l'univers hors champ étant assez souvent un univers de consolation. Et le mérite de « La Vie hors-champ », c'est de nous donner à voir les différentes manières d'exister hors champ, donnant au lecteur un aperçu sur cet univers parallèle, composé de tranches de vies en grande porosité avec le monde du show-business.

Dans cet ouvrage, la télévision et le monde du 7ème art sont éclairés par des projecteurs à la lumière froide, violente et crue, sans complaisance. Gérard Lecas sait de quoi il parle, lui qui a baigné pendant de nombreuses années dans ce milieu professionnel, et il a de quoi nous séduire : un coeur « gros comme ça », un oeil rivé à sa Caméflex, une plume acide (cf. le voyeurisme collectif de la télé, piégée par l'Audimat ; le mouvement hallucinatoire des séances de prises de vues imposées par Luc Premier à ses figurants) , un suspense réel (cf. la chasse photographique aux lions dans « Les lions »), des personnages bien campés (cf. le passé secret de Morel dans « Morel et sa déesse » ; le parfum du pinot noir humé par Gaëtan lors de ses dégustations dans « Grand cru classé »), des clins d'oeil savoureux (cf. la rencontre improbable entre Benjamin et Inès, belle enfant à la démarche chaloupée et aux iris bleu-vert) et des touches de poésie fréquentes (cf. les échanges merveilleux de spontanéité entre Zora, huit ans, et Philippe dans « La route du Golan »).

La nouvelle n'est pas de la petite littérature : « Il existe (disait R. Shusterman) beaucoup d'oeuvres qui, relevant des Beaux-arts, sont médiocres, voire franchement mauvaises […]. Et de même que le grand art n'est pas une collection irréprochable de chefs-d'oeuvre, de même l'art populaire n'est pas un abîme indistinct livré au mauvais goût, loin de tout repère esthétique ». « La Vie hors-champ » est un livre original, à essayer sans plus tarder.
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