AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Pecosa


Iban Urtiz, journaliste à Lurrama, est cantonné à la rubrique des chiens écrasés jusqu'à ce jour de janvier 2009 où il est mandaté par son rédacteur en chef pour couvrir une conférence de presse à Istilharte avec son collègue Marko Elizabe. La famille du militant abertzale Jokin Sasco vient de déposer plainte pour disparition inquiétante auprès du Parquet de Bayonne et tente d'alerter l'opinion publique. le sujet est délicat. Sasco est un ancien etarra incarcéré pendant dix ans pour appartenance à un groupe terroriste et participation à des actions violentes. Sa soudaine disparition coïncide avec plusieurs affaires d'enlèvements et de tortures sur des gamins de la kale borroka, qui n'ont suscité ni l'attention de la police, ni celle de la presse . Quel intérêt pouvait bien représenter ce militant de second plan qui n'avait plus fait parler de lui depuis sa libération?Jokin était-il un porte-valise ou avait-il trahi sa cause?
L'homme qui a vu l'homme est le récit d'une quête de la vérité, toute la vérité sur l'affaire Sasco. Celle d'Eztia, la soeur de la victime, qui se heurte au harcèlement de la police et au silence de son frère Peio. Celle de l'ex-compagne de Jokin, Eléa Viscaya, qui tente de prendre un nouveau départ. Celle des barbouzes spécialisés dans les basses besognes qui cherchent à effacer leurs traces et établir avec certitude qui sait quoi. Et enfin celle des journalistes de Lurrama décidés à faire toute la lumière sur les enlèvements de militants.
Dans ce roman aux vérités parcellaires, Marin Ledun met en place une intrigue complexe avec en toile de fond les luttes de pouvoir et la manipulation de l'information. L'histoire, tentaculaire, multiplie les retours en arrière ainsi que les points de vue, chaque personnage détenant une partie de la vérité. le lecteur est tributaire des investigations des nombreux protagonistes, de leurs déductions et des conséquences de leurs découvertes, qu'ils agissent au nom du pouvoir ou du droit à l'information.
Le parcours des deux journalistes est une des facettes les plus intéressantes du roman. Ici point de "ils se détestent, apprennent à se connaître et travaillent main dans la main au service de la vérité". Elizabe, en franc-tireur originaire du coin, a toujours une bonne longueur d'avance sur son collègue. le vieux renard sait où il met les pieds, possède un réseau d'informations fiable, les autorités se refilant la patate chaude des deux côtés des Pyrénées. Urtiz quant à lui est le "Persan". Il n'a de basque que le patronyme et a bien du mal à avancer dans son enquête: "La stratégie menée par Madrid fonctionne comme une véritable machine de guerre. Silence! Isiltasuna! Silencio! D'un côté et de l'autre de la frontière, quel que soit leur camp, qu'ils portent une cagoule ou pas, ils apprennent tous à murmurer, d'abord, et à se taire, ensuite."( L'auteur rend en ce sens parfaitement compte de la complexité de la situation politique sur le territoire). Fraîchement débarqué de Savoie, sa totale méconnaissance de la question basque et ses nombreux tâtonnements permettent à Marin Ledun de donner un cours accéléré de géopolitique au lecteur incrédule désireux d'en savoir davantage sur la gauche abertzale, les services de renseignements des polices espagnoles et françaises etc... L'intrigue se déroule en 2009 (Sud-Ouest du 22/07/2010 pour les curieux, découverte du corps d'Anza) bien avant l'annonce par l'E.T.A. de l'arrêt définitif de l'action armée. Cependant des précédents de chaque côté de la frontière essentiellement couverts par la presse régionale et la récente affaire Aurore Martin prouvent à quel point ce sujet "sensible" est toujours d'actualité.
Mais au-delà des investigations journalistiques, L'homme qui a vu l'homme est finalement un questionnement sur la manipulation et la diffusion de l'information. Ce qui au départ n'était pour Iban Urtiz qu'une opportunité pour sa carrière devient rapidement une quête obsessionnelle. A l'image du chaos ambiant provoqué par Klaus qui vient de dévaster le Sud-Ouest, l'image de "la tempête sous un crâne" s'impose au lecteur. Les démarches d'Urtiz, tout petit maillon du Quatrième pouvoir, ont-elles encore un sens dans une société où prime la raison d'état?
Commenter  J’apprécie          35-1



Ont apprécié cette critique (31)voir plus




{* *}