Notre bien-aimée Scout a bien grandi. Elle vit désormais à New York et retrouve Maycomb pour une brève visite. Au détour de tous ces gens, de tous ces lieux patinés de cette saveur d'enfance que l'on retrouve avec délice, elle va expérimenter des émotions inédites : se révéler à elle-même, grandir beaucoup et s'émanciper de l'ombre du père. Un père idéalisé par ses yeux d'enfants dans Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, qui descend de son piédestal avec la violence de l'inattendu.
Harper Lee dépeint avec maestria ce tsunami intérieur de la désillusion dans une habile balade mélancolique empreinte des marqueurs sudistes bien identifiables de l'Alabama. Sur un fond de révolte autour de la question des droits civiques, et dans l'attente de l'inévitable affrontement on fait bloc avec notre héroïne, on bouillonne, on se remémore à ses côtés les années d'insouciance comme si on y avait goûté. Et pourtant...L'envolée lyrique semble courte, l'insatisfaction gronde et finalement : non!
Lorsque la chanson se termine, il est temps de se rendre compte que, pour le lecteur aussi, Harper Lee a brûlé les idoles. Pas seulement Atticus, mais Scout aussi. On l'aurait souhaité plus combative, moins encline à certaines concessions intellectuelles. On aurait voulu que des Noirs soient invités à la table des débats ou que leur absence soient un motif supplémentaire d'indignation tout du moins. Autre temps, autre moeurs pensera-t-on alors... Comment mieux connaître le sentiment éprouvé par Scout qu'en l'expérimentant soi-même en parallèle? Tandis qu'elle s'affranchit de son identification au père, nous nous affranchissons de la notre envers elle. Et, de la même façon, notre indépendance acquise, nous lui réservons toujours une tendre affection.
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