AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4

sur 7 notes
5
1 avis
4
5 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Au début, atmosphère, décors, uniformes, voiles de deuil, on se souvient de beaux films funèbres sur la fin de la Grande Guerre : Tavernier/Cosmos, Dupeyron/Dugain, par exemple. le Capitaine Alphonse Vernet qui a été gazé dans les combats, meurt à l'hôpital d'Arras six mois après l'armistice, loin de sa femme Jeanne et de leurs trois petites filles qui vivent à Angers.

Mais très vite, le vague souvenir d'images animées sur un écran plat s'efface, inutile, devant le relief et la richesse des mots d'Anne Lemieux, écrivain-démiurge. Passé le premier chapitre énigmatique, un peu irréel, presque fantastique (il faudra absolument le relire, à la fin), on plonge de plain-pied dans le quotidien provincial des jeunes endeuillées qui ont à peine connu leur père. Au prétexte des convenances de l'époque, la jeune veuve de guerre s'enferme, se retranche, dans un silence buté, orgueilleux, entraînant sa propre mère et les fillettes. Par la suite, la descendance du Capitaine Vernet portera sur près d'un siècle les stigmates d'un long deuil sans larmes. Les hommes, pièces rapportées ou issus de la lignée d'infortune, s'esquivent, s'effacent, s'évaporent, abandonnent. Côté femmes, le malheur assumé de Jeanne Vernet se transmet de l'une à l'autre, d'une forme de fêlure à l'autre, jusqu'à Claire, arrière-petite-fille du gazé d'Arras, qui incarne enfin la volonté de vaincre pour elle-même la malédiction familiale.

Je me relis au fur et à mesure pour les fautes, et je crains soudain que les lignes plus haut fassent penser à un roman sombre, à une saga familiale glauque et plombante. Les Retranchées ne sont rien de cela. L'histoire est poignante, parfois grinçante, mais animée, secouée, du début à la fin par la narration fantaisiste de lubies familiales incongrues, de scènes balançant entre drôlerie et dévastation cruelle.

Un fossé infranchissable s'était creusé entre les hommes et les femmes pendant la Grande Guerre (je me demande : est-ce que Retranchées est un jeu de mots... tranchées, retranchées ?). Ils n'avaient rien vécu de commun pendant six ans. N'avaient pas su ou pu imaginer ce que les unes et les autres vivaient chacun de leur côté pendant la séparation. Comme si elles, étaient mortes, pour eux ; et eux, morts, pour elles (l'inversion de la vie). Retrouvailles ou pas, les dégâts émotionnels allaient être longs voire impossibles à réparer, d'autant que L Histoire remettrait assez vite le couvert avec d'autres séparations à la clé.... Mais petit à petit, sur ces tragédies humaines, l'émancipation féminine se construisait cahin-caha. Les Retranchées ne sont pas des suffragettes. Les premières se heurtent, pour vivre sans hommes (ou presque), à la mémoire familiale, aux convenances, chacune avec ses propres blessures, ses fragilités, ses folies. Les progrès des suivantes sont infimes, les victoires dérisoires. Claire, la dernière a le plus beau parcours : études, carrière, indépendance économique et affective ; mais est-elle plus heureuse ?

En moins de trois cent pages, dans un récit d'une densité étonnante, Anne Lemieux façonne plusieurs existences complètes de femmes retranchées et d'hommes revenants, complexes, infiniment attachantes.

Il y a aussi le style remarquable d'Anne Lemieux. Classique et moderne à la fois. Formidablement inventif, original sans excès, et surtout en harmonie parfaite avec l'ambiance du récit et la représentation des obsessions des personnages. Comme ces répétitions minuscules, de descriptions, de sensations, de situations. Elles forment, avec d'infimes variantes ou décalages, des motifs irréguliers, inattendus. On apprend à les reconnaître au fil du roman, à les attendre, petites marques codées de l'héritage de Jeanne chez ses filles, puis leurs filles et ainsi de suite. Il y a par exemple les troènes envahissants plantés trop près des maisons en meulière, les allées de gravier blanc, l'odeur des prunes trop cuites et des parquets cirés, les abeilles qui se métamorphosent en zeppelins, souvenirs et fantasmes étroitement mêlés... de même, la très belle métaphore récurrente des négatifs photo qui inversent le blanc, le noir, la vie, la mort.

“Ça devrait vous plaire, fond et forme” m'avait écrit un correspondant connaisseur en lettres et amateur de femmes (et/ou l'inverse) qui a la générosité rare de lire et de recommander ses collègues en écriture. Je le remercie pour cette belle découverte : il a eu raison, mon correspondant.
Lien : http://tillybayardrichard.ty..
Commenter  J’apprécie          00

Lecteurs (16) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3199 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}