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Critique de oblo


oblo
04 novembre 2017
Sur la couverture, un jeune garçon déguisé en super-héros, cape rouge sur les épaules et masque noir sur les yeux, se tient devant un champ travaillé par une moissonneuse-batteuse. le décor est planté. le comté d'Essex, en Ontario, est rural et, comme tous les endroits de la terre, il s'y déroule des vies, et donc des histoires, que certains, comme Jeff Lemire mais aussi comme Lester Papineau, le garçon de la couverture, tentent de raconter.

Le dessin en noir et blanc est soigné. Par un jeu savant de pleins et de vides, de traits épais et de traits fins, Jeff Lemire évoque d'une façon diablement efficace les paysages de son comté natal. Mieux encore, il façonne ses personnages, leur donne un visage et une âme, un caractère aussi qui colle à la réalité. Par ce dessin simple et pourtant incroyablement parlant, Jeff Lemire installe une ambiance nostalgique en prenant son temps. Pas question de verser dans le sentimentalisme ni de précipiter les choses. Il est encore plus inutile de tout dire : car, dans la vie, on ne sait pas tout et les choses n'ont pas tout le temps une fin : en cela, Essex county est un récit vivant.

C'est une histoire canadienne que ce Essex county mais c'est surtout une (des ?) histoire(s) de famille(s). Lester Papineau est un jeune orphelin que son oncle Ken a recueilli dans sa chambre. Lester échappe à la réalité en se déguisant en super-héros et en dessinant des comics qu'un jour, il fait lire à Jimmy Lebeuf, qui tient la station-service. Jimmy fut un fameux joueur de hockey qui ne joua qu'un match pour les Mapple Leaf, avant qu'une blessure ne le contraigne à arrêter. Lebeuf est le petit-neveu de Lou, un vieux monsieur que sa surdité et son impotence obligent à placer en maison de retraite. Dans sa jeunesse, Lou a joué pour les Grizzlies de Toronto. Son jeune frère, Vince, l'y a rejoint. Vince était talentueux : la NHL lui tendait les bras. Entre les deux frères, très unis jusque là, une histoire de coeur et de femme s'insère, et provoque la rupture. Lou reste vivre à Toronto, seul dans la foule, seul à cause de son handicap, seul à cause des non-dits.

Si Lou rejoint la maison de retraite, c'est que son aide à domicile, Ann Byrne, ne voit pas d'autre solution. Ann, elle, est veuve. Ses patients, c'est dorénavant sa famille. Alors elle se mêle parfois de leurs affaires, qui ne la regardent pas, même si c'est toujours pour leur bien. Car les non-dits empoisonnent les relations. Les familles ont leurs secrets, et les secrets condamnent les familles. En ce sens, Essex county serait une sorte de chronique familiale et sociale, analysant des parcours de vie sculptés par les choses qu'on tait, par les choses qu'on préfère ne pas dire pour ne pas blesser. Quitte à être seul, quitte à perdre jusqu'au sens de cette vie, aussi simple soit-elle.

Essex county est une bande-dessinée puissante. Par son dessin comme par son propos, elle semble ne pas trop en faire, ne pas trop en dire. Et pourtant, si l'on regarde aussi bien le détail que l'ensemble, on perçoit un récit d'une grande force qui parle tout à la fois des relations familiales, de la dureté de l'enfance, du poids des secrets, de ce Canada qui s'est construit dans le froid et dans la rigueur des conditions naturelles, et du hockey, naturellement. Car le hockey, c'est l'énergie qui s'exprime, c'est la vie qui bat, même sous un épais manteau de neige.
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