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Critique de Presence


Un arbre en colère
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Ce tome fait suite à Family Tree, Volume 2 (épisodes 5 à 8) qu'il faut avoir lu avant. Il s'agit du dernier tome de la série, et il faut avoir commencé par le premier car il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Celui-ci regroupe les épisodes 9 à 12, initialement parus en 2021, écrits par Jeff Lemire, dessinés par Phil Hester, encrés par Eric Gapstur et mis en couleurs par Ryan Cody, avec un lettrage réalisé par Steve Wands.

La fin du monde devrait survenir quand tout le monde meurt ? C'est un petit peu le ressenti initial à ce qui s'est passé, tellement tout s'est déroulé si vite. L'air que l'on respire est devenu l'ennemi. On avait l'impression que l'air était en train de tuer tout le monde. Mais maintenant, on sait que les gens ne sont pas morts, ils ont simplement changé. Les spores libérées par les arbres ont saturé l'air, et les êtres humains se sont transformés en le respirant, devenant des arbres. En 1997, Joshua Hayes est coincé sur la banquette arrière de la voiture de police, alors qu'il voit les gens autour de lui se transformer en arbre. Les spores relâchées par sa petite soeur sont emportées par le vent et cause la transformation de milliers de personnes. Mais elle n'était pas la seule à émettre des spores. Cinq ans plus tard, Joshua avance dans une zone envahie par la végétation et se retrouve devant un autre arbre à forme humaine, avec encore des lambeaux de vêtements entourant ses branches et son tronc. Il dit à haute voix que ce n'est pas une bonne chose. La main en bois qu'il porte autour du cou, lui confirme que qu'il l'a bien entendu et qu'il faut que Joshua sorte de là rapidement. Il se retourne en entendant un bruit de branche piétinée.

Effectivement un groupe de quatre hommes armés en combinaison de protection contre les risques infectieux se rapprochent. Ils l'ont repéré. Il se met à courir et arrive sous un pont surplombant une grande voie. Ayant un peu d'avance, et étant masqué par le pont, il se cache dans le coffre d'une voiture. Les individus armés passent devant et poursuivent leur chemin à l'affut d'un signe indiquant la direction qu'il a prise pour fuir. Une fois qu'ils se sont éloignés, Joshua sort du coffre et rebrousse chemin. La main n'a aucune idée du groupe auquel ces individus pouvaient appartenir. Des arboristes ? Joshua se remet en route : il doit retrouver sa mère Loretta. Cinq ans plutôt des individus également en tenue de protection contre les risques infectieux se tiennent devant Loretta, avec des tronçonneuses. La combinaison de l'un d'eux est déchirée et il se transforme en arbre sous ses yeux. Elle attaque l'autre pour dévier sa tronçonneuse. Un hélicoptère s'écrase à quelques mètres d'eux. Dans la voiture, Joshua tape des poings contre la vitre, voulant aller aider sa mère. Dans la grande forêt, Judd Hayes, le grand-père de Joshua, reprend conscience sur une énorme branche. Il est salué par Megan Hayes, sa petite fille et par Darcy son fils. Ce dernier le remercie d'avoir sauvé son épouse et son fils. Judd dit que le garçon est encore tout seul en milieu hostile.

C'est déjà la fin. Ce n'est pas la première fois que le scénariste écrit un récit court, relativement, 240 pages quand même. L'un des précédents avec ce genre de format était l'extraordinaire Royal City (2017/2018) qu'il avait dessiné lui-même. Ici, il a confié la mise en image à un autre artiste que lui-même et son histoire est plus orientée action. le lecteur ressent fortement cette dernière caractéristique car chaque épisode se lit très vite, en un tiers de temps en moins qu'un comics de superhéros industriel. Les deux lignes temporelles contiennent des affrontements : l'armée contre la cellule familiale des Hayes pour essayer de détruire Megan, Joshua et Loretta s'attaquant à la base des militaires cinq ans plus tard. Les traits de contour sont toujours aussi fins, avec un tracé comprenant des angles qui accrochent le regard, un peu agressifs. le dessinateur et l'encreur épaississent ces traits à l'intérieur des formes détourées, avec des aplats de noir irréguliers dont le contour présente également des angles. Cette apparence indique au lecteur que les personnages n'ont pas le temps de s'apprêter pour faire joli, qu'ils font dans l'utilitaire et l'efficace. Néanmoins cela ne va pas jusqu'à montrer que cinq ans plus tard il est devenu difficile de se procurer des vêtements neufs ou en bon état.

Ce rendu de surface s'avère très adapté pour rendre compte de l'âpreté des affrontements, de la violence des coups portés et de leur côté fruste, primaire, sans l'efficacité esthétique des combattants niveau expert. le lecteur ressent toute la brutalité de l'hélicoptère qui s'écrase sans aucune grâce dans un dessin en pleine page, la violence terrible que subit un corps humain se transformant en écorce et en sève, la maladresse catastrophique et angoissante d'un individu en combinaison brandissant une tronçonneuse sans aucune précaution ni habitude de s'en servir, la déchirure sale et imprécise provoquée par une balle d'arme à feu transperçant la peau et s'enfonçant dans la chair, la dislocation des corps qui se produit quand un arbre s'anime pour malmener des êtres humains en les secouant par saccade comme des pantins, la force d'un explosif et le ravage des flammes sur la chair. Les personnages sont confrontés à des situations de combat sale et maladroit, mais où leur vie est en jeu.

D'un certain point de vue, l'intrigue est particulièrement basique : dans le passé la cellule familiale des Hayes réussit à s'installer et finit par s'agrandir en intégrant deux nouveaux membres, dans le futur, c'est le dernier affrontement entre les Hayes et les militaires. L'alternance entre les deux lignes temporelles n'apporte finalement pas grand-chose : pas de résonnance entre les deux ou de parallèle révélateur. D'un autre côté, le scénariste s'y entend pour imaginer des séquences surprenantes et les artistes semblent prendre plaisir à insuffler de la vie dans ces visions. le lecteur savoure alors le divertissement visuel : une nuée de pollen à l'effet instantané provoquant des transformations spectaculaires, une fuite réfléchie dans les bois, ces retrouvailles inattendues sur les branches énormes d'un arbre sans limite, la récupération de nourriture dans un supermarché abandonné, une fillette sur une balançoire, l'usage terrifiant d'un lance-flamme, un arbre fâché qui laisse libre cours à sa colère.

Le lecteur s'est attaché à ces personnages : Joshua très protecteur vis-à-vis de sa mère, après avoir perdu sa soeur, Loretta très vindicative et le grand père Judd totalement apaisé. Il perçoit bien que le les auteurs ne visent pas le réalisme d'un récit survivaliste : le bébé est né sans difficulté et il n'a pas eu besoin de soin particulier pendant ses premières semaines. Les personnages n'éprouvent aucune difficulté en s'approvisionner en matériels de tout genre : vêtements, nourriture, et bien sûr armes. de même, la vue de Joshua ne semble pas évoluer ou se dégrader car il a conservé ses lunettes depuis le premier épisode, toujours à sa taille bien qu'il soit devenu adulte, et elles n'ont jamais cassé. Trois êtres humains parviennent à déplacer un arbre entier de trois mètres de haut, sans réelle difficulté, bien qu'il doive peser assez lourd.

L'intrigue progresse sans grande surprise sur un schéma très linéaire. le récit se démarque donc à la fois par la nature de l'épidémie et par ce plan spirituel. Les personnages humains évoquent rapidement la raison pour laquelle eux ont été épargnés par la transformation occasionnée par le pollen : ce n'est ni très développé, ni très convaincant. le lecteur peut s'en satisfaire, comme il peut s'en retrouver frustré : visiblement le coeur du récit ne se trouve pas là. L'autre particularité du récit réside dans la mise en scène d'une vie spirituelle après la mort, déjà présente dans les 2 premiers tomes. L'âme de chaque individu dispose d'une vie après la transformation du corps en arbre. D'une manière très logique, les auteurs ont donné une apparence d'arbre géant à cet au-delà. Pourquoi pas. Néanmoins, le lecteur ne doit pas s'attendre à une philosophie de vie ou à des convictions spirituelles venant étayer cette phase de vie après la mort : c'est à prendre en l'état, sans se poser de questions. Joshua a la possibilité de communiquer directement avec l'âme ou l'esprit d'une des personnes ainsi transformées : son grand-père. Pourquoi pas. le dispositif de communication, mis en place dans le premier tome, est visuellement amusant : la main en bois sectionnée de Judd. Pourquoi pas. Là encore, il ne faut pas chercher d'explication supplémentaire ou de second degré particulier. le lecteur en ressort avec une très belle image : celle d'une pelle soulevant de la terre pour creuser un trou. de prime abord, il présume qu'il s'agit de quelqu'un en train de creuser une tombe, puis il se dit qu'il s'agit peut-être d'un trou pour planter un arbre, belle polysémie de l'image.

Ce dernier tome vient conclure l'intrigue de manière satisfaisante, tout en opérant la jonction entre les deux lignes temporelles. Dessinateur et encreur sont dans une très bonne forme, bien impliqués dans leurs pages, pour des visuels saisissants et des séquences bien agencées. le scénariste réalise une narration décompressée pour des pages qui se lisent rapidement. le récit aboutit à un constat très basique : le monde change et il faut s'y adapter. Au final : une histoire divertissante et dépaysante, mais loin des meilleures de Jeff Lemire, car trop convenue, et un peu superficielle.
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