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Critique de Dandine


Le cheval est un bel animal. Une beaute qui s'affirme dans sa course. Quand une manade entiere court c'est un spectacle eblouissant. de temps immemoriaux l'homme a mis ce spectacle au service de la guerre pour en faire une arme terrifiante, la charge de cavalerie.

Les charges de cavalerie sont devenues mythiques; les reussies, comme celle de la bataille napoleonienne d'Eylau, mais aussi et peut-etre surtout les tragiques, celles de Sedan en 1870, ou celles produit de l'affabulation comme l'inventee charge des polonais contre les blindes allemands en 1939.


Dans ce court recit, un escadron de cavaliers autrichiens charge un pont pendant la premiere guerre mondiale et est completement aneanti. Une hecatombe. Trois ou quatre “dragons" en rechappent (sur 120), dont celui qui en raconte l'histoire, de nombreuses annees apres, le baron Bagge.


Ce qu'il raconte en fait n'est pas la desastreuse charge, mais les quelques moments de son evanouissement depuis qu'il a ete frappe par deux balles jusqu'a ce qu'il se reveille, tire par d'autres vers une berge plus sure. Quelques instants ou quelques jours? Et pendant cela, a-t-il reve ou a-t-il reellement vecu des journees inoubliables? Des journees de poursuites inlassables apres un ennemi qui ne se montre pas, qui n'existe peut-etre pas? Des journees ou il aurait connu le grand amour de sa vie, un amour impossible et justement pour cela idyllique? Un amour phantasme?

Ces quelques instants d'evanouissement etaient-ils le laps de temps requis pour que ses camarades passent de l'impact meurtrier a la mort definitive? Il sait que de nombreuses civilisations croyaient a cet intervalle, qui pourrait durer jusqu'a neuf jours, de limbes entre vie et mort, ou pouvaient se derouler enormement d'evenements, d'actions dont les survivants, les vrais vivants, ne pouvaient avoir conscience, qu'ils ne pouvaient qu'imaginer, que soupconner. C'etait pour cela que ces vieilles civilisations n'enterraient leurs morts qu'apres de longues journees de veille. (C'est peut-etre aussi pour cela que les juifs enterrent les leurs avant qu'une nuit ne soit passee, avant qu'ils ne soient completement et definitivement morts, pour qu'ils puissent renaitre a l'arrivee du messie, selon la prophetie d'Ezechiel?). Et lui alors, le baron Bagge, dans son evanouissement, a-t-il reve ou a-t-il accompagne ses camarades dans leur periple de la mort soudaine a la mort eternelle? Et est-ce que c'est dans ce periple qu'il aurait connu ou reve l'amour ideal qui l'empechera plus tard d'apprecier toute autre femme?


Reve ou realite? Lernet-Holenia me ferait presque douter, et ce faisant il m'a emmene dans une poursuite fantastique apres des chimeres, apres un ennemi imaginaire, insaisissable, et craint parce que reve comme tel. L'absurdite de cette poursuite m'a un peu rappele le desert des tartares de Buzzati. Mais je serais plutot enclin a qualifier ce livre de realisme fantastique. Reelle a ete l'offensive autrichienne dans les Carpathes en fevrier-mars 1915, reelle et desastreuse, funeste. Une boucherie que tous les historiens s'accordent a targuer d'inutile. Reelle est la geographie que decrit l'auteur, de Tokay vers le nord, vers la Galicie. Pourtant toute l'action du livre reste fantastique. Lernet-Holenia evente dans une epopee insensee ses cauchemars, des phantasmes de guerre qui ne le lachent pas, qui le poursuivent, quand il esquisse les souvenirs (reves?) d'un poursuivant.


Je tire de ce livre deux conclusions/impressions:

Je decouvre en Lernet-Holenia un des derniers representants de la floraison litteraire austro-hongroise (ou mitteleuropeenne) de l'entre deux guerres.

Les charges de cavalerie resteront pour moi mythiques. Et en un meme temps elles m'eclaboussent la beaute des chevaux. La folie des hommes pollue tout.

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