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Critique de Ingannmic


"Nirliit"est un cri. Un cri d'impuissance, de frustration, de détresse. Un cri d'amour aussi... surtout un cri d'amour.

Ce cri est poussé par la narratrice, une québécoise de Montréal qui chaque été se rend à Salluit, ultime bourgade sur la route qui monte vers le Nord -seuls certains migrateurs poussent au-delà- pour s'y occuper des enfants de la communauté Inuit qui peuple le village. Un village qui n'a rien de bucolique, et ce non pas tant en raison du froid qui rend les lieux hostiles et la vie impitoyable la majeure partie de l'année, que du marasme économique et social qui plombe le quotidien de ses habitants.

Créant un sentiment d'urgence désespérée en s'adressant avec une intensité incantatoire à son amie Eva, dont on apprend d'emblée que le corps gît au fond de l'eau glaciale d'un fjord, elle dresse le sordide et triste tableau de ces laissés-pour-compte pour lesquels elle éprouve un irrémédiable attachement.

C'est pourtant un bel endroit que ce lieu du bout du monde où la rivière Hudson se jette dans l'océan... à condition d'occulter l'autre rivière, celle que constituent les déchets de la décharge municipale. D'oublier la banalité des violences conjugales, la récurrence des désordres publics, des actes de vandalisme et des fusillades. D'ignorer le niveau effarant qu'atteignent les taux de criminalité ou d'alcoolisme, le nombre de viols ou de suicides. de fermer les yeux sur ces enfants livrés à eux-mêmes, élevés aux chips et au Pepsi, que la drogue et les tragédies font vieillir prématurément.

Qu'est-il arrivé à ce peuple pour qu'il en arrive à cette impasse, et à se conformer à l'image méprisante et indigne qu'ont de lui ces "autres", comme il les désigne, ces gens du sud qui vilipendent sa paresse et sa propension à l'assistanat, à la délinquance et à l'ébriété ?

Dépossédé de ses territoires, de son mode de vie, de ses coutumes, il est condamné à survivre de la charité hypocrite et arrogante d'un état qui a depuis longtemps oublié ces autochtones des terres reculées, destination de quelques missionnaires blancs porteurs de la bonne bonne parole -"ayez une vie saine, soyez écolos, contrôlez vos naissances, et stérilisez vos chiens"- sans réaliser le monde qui les sépare, d'aventuriers marginaux qui font des enfants à de jeunes femmes naïves avant de repartir, ou d'ouvriers en mission sur les chantiers, qui abusent de filles parfois même pas pubères dont ils achèvent de tuer l'enfance. Alors, il imite certains comportements du monde moderne et occidental dont on l'exclue, s'adonne à la consommation de superflu, de tape à l'oeil -quad, motoneiges, bateaux...- bercé par l'illusion de posséder un semblant de richesse, pour oublier ce qu'il a perdu, coincé entre le délitement de son héritage et la vacuité d'un présent de misère médiocre et sans perspective d'avenir.

C'est sans doute pour tout cela que chaque fulgurance d'espoir, chaque acte de courage pour s'extirper de ce cloaque, chaque manifestation de douceur, acquiert ici un caractère douloureusement et fragilement lumineux. Atteinte d'un amour désespéré pour ces démunis qu'elle voudrait sauver, mais consciente de ne colmater que quelques brèches qui pour la plupart se rouvriront après son départ, la narratrice est sans complaisance envers elle-même qui, à l'instar des autres blancs, les abandonne avant l'arrivée de chaque hiver, ne faisant de sa mission qu'une parenthèse, une aventure de sa vie privilégiée.

Sa harangue lucide, vibrante et éperdue est suivie dans une seconde partie du récit de la relation compliquée unissant Elijah, fils d'Eva, à Maata, exprimée dans une langue moins intense, qui après l'étourdissante et éprouvante sarabande d'images et de personnages de ce qui précède, réintègre le lecteur dans une sorte de mélancolique apaisement.

C'est à la fois très beau et très fort, un gros de coeur !
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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