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EAN : 9782924519073
La Peuplade (05/10/2015)
4.09/5   237 notes
Résumé :
Une jeune femme du Sud qui, comme les oies, fait souvent le voyage jusqu’à Salluit, parle à Eva, son amie du Nord disparue, dont le corps est dans l’eau du fjord et l’esprit, partout. Le Nord est dur – « il y a de l’amour violent entre les murs de ces maisons presque identiques » – et la missionnaire aventurière se demande « comment on fait pour guérir son cœur ». Elle s’active, s’occupe des enfants qui peuplent ses journées, donne une voix aux petites filles inuite... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (61) Voir plus Ajouter une critique
4,09

sur 237 notes
“Eux, les épaves imbibées d'alcool qui ne sont plus l'ombre des fiers chasseurs qu'ils ont été, eux dont les formidables talents ne trouvent plus leur utilité dans notre assourdissante modernité, eux massacrés jusqu'à la moelle par l'une ou l'autre des merdes qui, paraît-il, viennent inévitablement avec la civilisation.”
Eux, sont les Inuits, un autre de ces peuples abusés, délaissés par “les Blancs” , qui vivent dans des conditions sanitaires dignes de 1850, que ce petit livre reintégre dans la conscience humaine.

Un cri désespéré, comme un cri d'oie sauvage, nirliit !, dans le silence du froid polaire,

Où les bêtes sont plus tendres que les hommes,

Où les enfants souffrent le plus, maman suicidée, papa alcoolique, des enfants qui ne comptent pas, conçus sous l'emprise de l'alcool, enfants violés, maltraités,
“Dix ans tout au plus, en t-shirt, il dormait en boule sur une planche devant un cabanon. Les policiers l'ont amené à l'hôpital, on va soigner son hypothermie, mais qui va soigner le reste ?”
““I used to smoke weed a long time ago.”* A long time ago, quand on a dix ans, ça veut dire quoi.”
“Il y a la petite fille aux yeux rouges, elle aime beaucoup la marijuana, elle a treize ans et pas les moyens de s'en acheter, une pipe un joint, c'est la loi de l'offre et de la demande.”

Où tout n'est pas pourtant gris,
“Elisapie, enfant adoptée, comme tant d'autres au village. C'est si simple, pour vous, l'adoption, vous avez le don de tout compliquer, mais pas l'adoption, et je vous aime tellement d'aimer les enfants des autres comme les vôtres, si simplement.”

Où tout les Blancs ne sont pas des méchants,
“Suzanne levée aux aurores chaque jour pour préparer ses célèbres sandwichs aux oeufs, vendus à l'école toute l'année pour payer des séjours au Sud à ses élèves les plus persévérants.”

Où il y a aussi des histoires d'amour, mais qui sont trop tristes......

C'est la voix douce d'une Blanche, qui témoigne sans jugement, sans apitoiement mais avec beaucoup d'amour, “j'aime les enfants, les gens, la langue, les chiens, le paysage, le soleil de minuit, les aurores boréales,...”. Une Blanche qui s'y rend chaque été pour s'occuper des enfants inuites. Une prose magnifique chargée d'émotion, d'amour, de poésie et de sensibilité pour raconter une situation inhumaine. Quel talent !
Que puis-je dire ? Crisse, ça m'a touchée, émue, profondément ! Merci Viou.

“des régiments d'outardes filent .......donnent le signal aux voyageurs qu'il est temps de rentrer, et les autres oiseaux du Sud leur emboîtent tranquillement le pas, un par un, ils s'en vont. Nirliit. « Des oies ».....


*Je fumais des joints il y a longtemps.”
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De la littérature québécoise, autant dire que je ne connais rien. Juste une incursion, délirante, en compagnie d'Aliss de Patrick Sénécal.
Avec Nirliit , direction le Grand Nord, le Nunavik, le village de Salluit, 1483 habitants.

Ce qui m'a le plus surprise, c'est le travail formel sur la langue. Une écriture organique, paradoxale : apaisée, emplie de poésie pour décrire la toundra, les fjords, puis soudain les mots s'entrechoquent, rythmés par une ponctuation très vivante, se répètent jusqu'à s'exténuer.

En fait, on sent battre le coeur de l'auteure à chaque phrase, un coeur qui vibre d'amour pour le peuple inuit, mais vibre aussi de rage à le voir sombrer dans l'assistanat, l'infantilisation, la violence et l'alcoolisme.
Juliana Léveillé-Trudel s'est crée un double de fiction pour incarner ce cri d'amour et de rage : la narratrice, blanche, pleure son ami autochtone, Eva, jetée dans un fjord par un ancien amant.
Eva a disparu mais son âme, son visage semble flotter partout dans la toundra grâce au regard et aux mots de son amie.

A travers une riche galeries de portraits, on découvre un monde inuit authentique, loin de tout cliché, sans aucun mythe folklorique qui pourrait éloigner l'auteur de son propos. On découvre le drame vécu par les jeunes, surtout les femmes, «  prises comme des sculptures en pierre en savon, un joli souvenir », séduites, rejetées, violées, battues, enceintes très jeunes, abandonnant leurs études très tôt, alcooliques … leurs beautés majestueuses fanées à vingt ans, leurs existences abimées.

" Et moi, Eva, je refuse qu'on te salisse, je refuse qu'on crache sur ta beauté, je refuse qu'on te condamne pour avoir aimé le mari d'une autre. Je refuse qu'on écrase brutalement ceux qui sont trop lumineux pour le reste du monde, je refuse qu'on empêche les étoiles de briller, je refuse qu'on force les comètes à ralentir pour ne pas faire de jaloux. Je refuse que certains trouvent que c'est bien fait pour toi, je veux te porter comme un drapeau dans les rues de Salluit, à bout de bras, je veux te jeter au visage des bien-pensants et leur hurler qu'ils ont tort, je veux que tu reviennes, Eva. "

Cela fait quinze jours que j'ai refermé Nirliit, et sa beauté rude crépite encore en moi.

Merci à Léa du Picabo River Book Club pour cette magnifique découverte.
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« Je me sens coupable de mon pays riche, de ma famille unie, de mon éducation, j'ai besoin d'éteindre des feux et de sauver des enfants, j'ai besoin de faire quelque chose dans ce monde pourri, j'ai besoin de courir d'une bande de laissés-pour-compte à une autre, j'ai besoin sinon je pourrais m'asseoir et pleurer ou lancer des bombes. »


Nirliit est un cri du coeur : celui de la narratrice qui, se sentant coupable de ce qu'a fait son peuple blanc à celui des Inuits, travaille avec cette communauté. « Il faut venir par les airs ; comme les oies, nirliit, je refais inlassablement le chemin du sud au nord puis du nord au sud, chaque fois que l'été revient, chaque fois que l'été se termine. » Son cri devant la beauté du paysage et des personnes qu'elle y rencontre se mue en cri de tristesse, devant la vie d'une population dont les terres ont été spoliées par les Blancs, puis que l'on a payée à ne rien faire en dédommagement. Or, « La meilleure façon de tuer un homme est de le payer à ne rien faire ». La vie des Inuits étant désormais régie par les activités des occidentaux, ils se retrouvent dépossédés de leur utilité, de leur identité et donc de sens à leur vie. On les entasse gratuitement dans des logement trop familiaux, où la promiscuité implique de trop nombreuses errances et des dérapages incontrôlés.


« Il y a de l'amour violent entre les murs de ces maisons presque identiques, il y a de la jalousie féroce, il y a confusion entre aimer et posséder, vous qui possédez beaucoup mais si peu de choses. Votre maison ne vous appartient pas. Votre terrain non-plus. Tout ça vous est gracieusement prêté par le gouvernement. N'est-ce pas qu'on est fins ? On vous pique votre territoire, mais on vous le prête après. Est-ce pour cela que vous avez tellement besoin de posséder ? Des motoneiges, des bateaux, des quads, des camions pour faire le tour d'un village de quatre rues. Pour échapper à vos maisons surpeuplées où vous vivez les uns sur les autres. Vous manquez d'espace dans votre immensité nordique. Comment se fait-il que toute cette richesse ressemble tellement au tiers-monde ? »


A force de venir chaque année, la narratrice québecquoise a ses repères qu'elle nous égraine : temporels, géographiques, humains. Elle rencontre des têtes connues, se désole de l'évolution des enfants dont elle s'occupe d'une année sur l'autre, dans ce pays où l'alcool et la drogue réchauffent ces corps, enfermés dans l'hiver éprouvant de leurs coeurs gelés, meurtris par les moeurs des envahisseurs qui ne les voient que comme une distraction : des âmes interchangeables, des corps jetables, des femmes poupée au coeur gonflé, au corps gigogne, dont les enfants ne seront jamais reconnus.


« Parce qu'on vous abandonne tout le temps, on a fait de vous des parenthèses à l'infini, des aventures que l'on vient vivre pour un temps avant de retrouver nos vies rangées du Sud ou repartir vers de nouvelles expériences qui nous semblent maintenant plus alléchantes que votre exotisme du Nord. »


Si le ton est dépité et nostalgique, c'est qu'Eva, l'amie Inuit que la narratrice retrouvait tous les ans, est décédée de cette vie dissolue, laissant derrière elle son fils Elijah.


« Ton corps dans l'eau et ton esprit partout, sur la mer, dans la toundra, au ciel jamais noir de l'été arctique, danse, Eva, danse, je dis avec le même français cassé que le tien : « je manque de toi. » »


La première partie du récit du retour de la narratrice s'adresse à Eva. C'est un pêle-mêle d'émotions, de sensations et d'images du Nord d'aujourd'hui, qui m'ont donné les grandes lignes du paysage mais n'a pas suffit à m'immerger vraiment dans sa vie et son ambiance : En se contentant d'un panorama rapide des situations rencontrées sensées planter le décor, les gens sont à peine effleurés et l'on n'a pas l'occasion de s'attacher à eux. Or l'humain, dans un roman, c'est pour moi l'essentiel. Mais par bonheur arrive la seconde partie où la narratrice s'adresse à Elijah. Celle-ci s'attache aux personnages et est plus vivante, même si elle ne peut se dépêtrer d'une certaine tristesse, comme une fatalité face à laquelle on se sent impuissant.


« Vous êtes là avec vos vies de tragédies grecques, vous feriez baver Shakespeare avec vos douleurs lancinantes et votre désespoir, et je ne sais pas comment vous faites pour endurer ça, moi qui en arrache déjà avec ma petite misère ordinaire ».


Les deux parties se complètent opportunément, s'imbriquant comme que le yin et le yang pour former un tout convainquant. Au total, ce roman est une dénonciation sensible des conséquences de la colonisation, des ravages dont se sont, une fois de plus, rendus coupables les occidentaux en s'appropriant des terres, puis en voulant compenser leurs actes par de l'argent aux populations, ce qui ne leur a appris qu'à délaisser le travail pour noyer dans l'alcool et les drogues la misère due à leur dépossession originelle.


« Ça leur fait du bien, tsé, aux Inuits, plus ils ont du sang Blanc, plus ils s'améliorent. Ça paraît déjà je trouve. » (!)


Un texte d'une belle sensibilité, tissé de douceur, de chaleur humaine et de mélancolie.
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Comme les oies sauvages (Nirliit en langue inuite), la narratrice fait chaque année le voyage vers Salluit, dans le Grand Nord québécois. le temps d'un été sans nuit, elle quitte Montréal pour s'occuper des enfants du village, livrés à eux-mêmes pendant les vacances scolaires. Au fil du temps, cette jeune femme du Sud s'est liée d'amitié avec Eva, jeune femme de ce coin de Nord perdu dans la toundra. Mais cette année est différente. Eva n'est plus. Elle a disparu dans le fjord, accident, assassinat, personne ne sait, tout le monde s'en fiche. La narratrice s'adresse à elle, lui raconte comment la vie continue à Salluit. Ou la survie, plutôt. Salluit au taux de suicide trop élevé, aux habitants laissés-pour-compte subsistant grâce à l'assistance publique, abrutis de malbouffe, d'alcool et de drogue, qui se donnent parfois la peine de travailler mais laissent le plus souvent le boulot aux émigrés du Sud. Ceux-ci, installés à demeure ou saisonniers, viennent dans le Grand Nord chercher un salaire plus lucratif. Ils résistent rarement à la tentation de la chair fraîche. Qui est d'ailleurs peu farouche, les (parfois très) jeunes filles s'y laissent prendre, s'accrochant au maigre espoir d'un vrai amour et d'une vie meilleure. Las ! La fin de l'été sonne l'heure du déchirement. Et si beaucoup d'enfants naissent quelques mois plus tard, et que beaucoup de ces jeunes filles ne se donnent pas la peine de les élever, qu'à cela ne tienne, le village y pourvoira...
Entre rage et désespoir, la narratrice se confie à Eva, elle s'emporte contre la violence et la rudesse qui tourmentent Salluit, dont les adolescentes sont les premières victimes et les enfants les dégâts collatéraux, eux qui "appartiennent au village", c'est-à-dire à tout le monde, c'est-à-dire à personne, en tout cas personne qui les protège. Rage et désespoir donc, et lucidité, mais aussi énormément d'amour et de tendresse pour ce peuple qui se laisse mourir à petit feu, à coup d'inertie et d'existences gâchées faute d'avenir, au milieu d'une Nature grandiose.
Nirliit est autant un roman qu'un documentaire sur l'extinction silencieuse d'un peuple malmené par la "civilisation" blanche et qui semble incapable de lutter pour sa survie et celle de ses traditions. le texte met particulièrement en lumière la condition effarante des femmes et celle des enfants, encore plus révoltante. L'auteure a la formule percutante, son écriture est implacable et sans concessions mais elle est sincère, belle et âpre, puissante. Ce roman offre un témoignage nécessaire et urgent. Rage, désespoir, amour, amitié, il est un cri du coeur, un crève-coeur et au final, un coup de coeur.
En partenariat avec les Editions La Peuplade et le Picabo River Book Club, que je remercie vivement tous deux !
#picaboriverbookclub
#MarsQuébécois
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Ce que j'ai ressenti:

***Jour et Nuit en peuple Inuit…
Eva est au centre du récit. Vivante et absente à la fois. Au coeur d'un peuple en souffrance et fantôme d'amitié. Incarnation d'un visage Inuit et disparition d'une culture ancestrale. Eva, jeune fille aimante…

Elijah est au centre des commérages. Père ou amant, qui saura vraiment? Au coeur de la vie et des tourments d'amour. Témoin de la vie et Effacement devant la peine. Elijah, future descendance…

Deux façons d'appréhender la vie du côté Nord, entre anthropologie et intimité des coeurs, nous voyageons jusqu'à Salluit. Là où la nuit ne vient pas, là où le froid rythme le quotidien, là où la toundra donne ses présents…

Julianna Léveillé-Trudel met beaucoup de coeur et de mystère dans son écriture, une sincérité désarmante, pour que l'on puisse ressentir toutes les qualités et les contradictions de cette population, entre la richesse des mots empruntés à la langue Inuit, l'Anglais et le Québécois, nous avons un joli panel qui nous emmène, tout simplement, en Evasion. Qu'il est doux de partir à l'autre bout du monde, de lire d'autres paysages éblouissants, de connaître d'autres moeurs…

« Vas-y, frappe, c'est rien à côté de ce que j'ai enduré. »

***Un coeur qui s'arrête et des oies qui s'envolent…

Je suis trop sensible, et ça me joue des tours…Des tours de sang, des loopings au coeur, des vertiges au corps…Il est difficile de lire que toute une jeunesse est désenchantée, que leur avenir se fracasse sur la violence, la drogue et l'alcool…Les seuls dérivatifs qu'on leur a proposé à leur culture, après leur avoir volé leurs terres…Du vent et de la superficialité contre la richesse de leur enseignement face à un climat rude…De la frivolité contre le froid.

J'ai trouvé Juliana Léveillé-Trudel avait une écriture incisive mais aussi une immense douceur…Un curieux mélange entre dénonciation et fascination. C'est un cri de détresse, un ultime cri d'amour et de déchirement pour que l'on prenne conscience au delà des frontières, d'une réalité brute. Et pourtant, au delà de la rudesse, il y a aussi de la tendresse, pour décrire l'enchantement qu'elle ressent à faire ses allers-retours en terre froide…Nirliit, où le vol au dessus des fjords…

« Tout le monde veut toujours entendre le sordide, le scandaleux, le juteux, le violent, le troublant. »

***Ulluriaq is born…
J'ai mis du temps à écrire cette chronique, parce que l'impact de cette lecture a été plus intense que l'on aurait pu le croire…175 pages, et un coeur en miettes, c'est le résultat de ce bouleversement…Je suis à la fois révoltée et remplie d'une douceur protectrice envers ces enfants, ceux du village, ceux qui appartiennent à tout le monde, mais que personne ne protège…Tellement de peine à voir le sort de ses jeunes filles, tellement de mal à réaliser que, encore de nos jours, de telles pratiques soient commises…J'avais une appréhension à les quitter à leur triste sort…Mais, si vous découvrez cette histoire, il se peut aussi, que la glace réchauffe vos sangs…En tout cas, Julianna Léveillé-Trudel a captivée mon attention avec ce premier roman…

J'ai ressenti une myriade d'émotions, j'espère vous en avoir fait passer quelques unes, pour que vous preniez un envol prochain pour Salluit…

« Je manque toi » Eva, et je t'admire Nirliit, petit étoile mauve de cette rentrée littéraire…



« (…), mais peut-on empêcher un coeur d'aimer? »


Ma note Plaisir de Lecture 10/10
Lien : https://fairystelphique.word..
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critiques presse (2)
Actualitte
06 décembre 2018
Nirliit est un texte paradoxal : c’est dans une langue languide, extrêmement sensuelle, voire animale, parce que seuls les corps peuvent exprimer ce sur quoi l’on n’a pas de mots que tout est dit des violences conjugales, des addictions, du sexe, de la perte des gestes ancestraux et du combat pour maintenir la mémoire.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LaPresse
30 mai 2016
Rares sont les auteurs qui réussissent à nous faire voyager au point qu'on oublie qu'on se trouve chez soi (...) Juliana Léveillé-Trudel réussit ce tour de force.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (69) Voir plus Ajouter une citation
DES FOIS ON SE SENT BIEN et protégés parce qu’on est seuls et tranquilles au bord d’un fjord magnifique, parce qu’on est loin de l’agitation des grandes villes, parce qu’en grimpant en haut de n’importe laquelle des montagnes autour on peut embrasser tout le village d’un seul regard, faire mentalement le chemin du fond de la baie au détroit, voir le ciel qui s’éclate en mille couleurs quand le soleil commence à descendre derrière les falaises. Une beauté en forme de coup de poing dans le ventre, il y a juste la toundra qui fait ça, paysage complètement démesuré et bouleversant tout seul au bout du monde avec si peu de gens pour l’admirer.
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Est-ce que vous savez comme on vous aime, bordel de merde, est-ce que vous savez comme on vous aime plus que vous-même ? Mais en ce moment je te déteste Noah, je te jure que je te déteste, qu’est-ce qui t’a pris, sale petit con ? Fuck, fuck, fuck, c’est pas ça, c’est pas comme ça que ça marche, on n’est pas supposé s’informer d’un ami qu’on n’a pas vu depuis des mois et apprendre qu’il est mort, pas supposé demander « comment va Noah ? » et se faire répondre : « Il est mort, du haut de ses dix-sept ans il trouvait qu’il en avait assez vu, il s’est tiré une crisse de balle dans la tête parce que tout le monde a une arme et tout le monde sait comment s’en servir, merci bonsoir.
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Il y a Julia superbe l'été dernier, Julia comme une future reine, mais c'est fini maintenant, Julia le visage boursouflé par l'alcool et la drogue, le corps alourdi par toutes ces cochonneries que la Coop vend moins cher que les légumes, les yeux éteints par je ne sais quelle tristesse, oh, Julia. Julia traîne ses pas lourds dans les rues de Salluit, elle a laissé l'école et ne fout rien de ses journées sauf promener son désespoir, son renoncement au monde, parfois seule, parfois avec d'autres qui partagent la même misère. Je croise souvent leur chemin, et les fillettes qui me suivent me chuchotent à l'oreille en les pointant du doigt : 'les drop-out'. Elles pourraient me chuchoter 'les pestiférés' ou 'les sidéens' sur le même ton, le ton des calamités, le ton de la honte et du mépris, et pourtant vous aussi, mes pauvres petites chéries, vous risquez fort de connaître le même sort, dans votre école qui ne sait pas comment vous garder entre ses murs.
(p. 34-35)
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Nous vivons dispersés sur cet énorme continent, dans des villes et des villages qui portent de jolis noms à faire rêver les Européens, de jolis noms qu'on s'empresse de traduire parce que nous sommes si fiers de savoir que « Québec » veut dire là où le fleuve se rétrécit en algonquin, que « Canada » signifie village en iroquois ou que « Tadoussac » vient de l'innu et se traduit en français par mamelles. Nous avons de jolis mots dans le dictionnaire comme toboggan, kayak et caribou, il fut une époque où des hommes issus de générations de paysans de père en fils entendaient l'appel de la forêt et couraient y rejoindre les Sauvages, il fut un temps où nous étions intimement liés, mais nous avons la mémoire courte, hélas. Nous ne nous souvenons plus de rien, et dans les villes où le béton cache le ciel, des gens occupés marchent sans se regarder sur les routes qui ont fendu la forêt, et parfois leurs yeux se posent sur eux. Eux, les épaves imbibées d'alcool qui ne sont plus l'ombre des fiers chasseurs qu'ils ont été, eux dont les formidables talents ne trouvent plus leur utilité dans notre assourdissante modernité, eux massacrés jusqu'à la moelle par l'une ou l'autre des merdes qui, paraît-il, viennent inévitablement avec la civilisation. Eux comme une maladie honteuse, comme un malaise énorme au bord du trottoir, comme un enfant-problème qui jette l'opprobre sur ses parents. Ils ont quitté leur réserve ou leur village, ils ont abouti n'importe comment sur le ciment de Montréal, Winnipeg ou Vancouver, ils confortent les gens occupés dans la vision qu'il sont d'eux : des ivrognes, des paresseux, des irresponsables.
Ils atterrissent brusquement dans le champ de vision de Charline, secrétaire, cinquante-quatre ans de préjugés soigneusement entretenus comme la haie de cèdre devant sa maison de Sainte-Julie, cinquante-quatre ans de mauvaises teintures, de salon de bronzage et de télé-romans, cinquante-quatre ans dans toute sa splendeur de contribuable outrée qui a mal à son gros bon sens.
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[A propos du Nunavik, territoire du nord du Québec, dont les habitants sont majoritairement des Inuits:]
C'est comme en Afrique, c'est bizarre… Comment deux coins du monde si éloignés l'un de l'autre peuvent-ils se ressembler autant?
Ce n'est pas bizarre: tout le monde est pareil au fond. Sauf les Occidentaux. Indian time, African time, Mexican time, c'est le même temps, c'est nous [les Occidentaux] qui vivons à l'envers, et c'est nous qui sommes convaincus d'avoir raison.
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