S'il est certain que
C. S. Lewis voulait par son univers de fantasy inculquer des valeurs chrétiennes parfois à grands coups de morale simpliste, il serait hypocrite de dire d'une part qu'il était le pire dans ce domaine (mais bon ! Qui va se dresser contre la comtesse de Ségur dans notre bonne culture littéraire traditionaliste, je vous le demande !), d'une autre ce serait exclure la richesse de celui-ci.
En effet, je m'étonne vraiment que de nos jours, en-dehors de l'animal fantasy, les animaux parlants soient si peu prisés ; ici, il y en a plein. À noter aussi que les nains ne vivent pas forcément dans des forges ou à la montagne, mais aussi en forêt et sont divisés en différents peuples : nains rouges, nains noirs..., dont se sont inspirés (de manière extrêmement éloignée, voire parodique ?)
Paul Stewart et
Chris Riddell. Et puis non seulement Lewis a quand même osé créer un monde qui ne soit pas sphérique (quand bien même ce n'est jamais justifié), mais il a réussi à en insérer d'autres, dont des mondes MORTS ! Oui, exactement : de la fantasy post-apocalyptique avant l'heure. Et dans un livre jeunesse.
Là où on peut vraiment râler, c'est au niveau du magicbuilding : en-dehors de quelques légères explications, les éléments surnaturels restent très fantaisistes, parfois difficilement crédibles (cf. l'arbre à caramels...). le style de l'auteur aussi peut agacer, mais le fait qu'il se montre compréhensif envers le lecteur compense plutôt bien le fait qu'il puisse donner des leçons que tout le monde n'apprécie pas forcément.
Et puis certains critiques Babelio vous diront que les tomes sont d'une qualité inégale ; personnellement ce n'est pas mon impression. "Le Neveu du Magicien" s'intéresse à la cosmogonie de Narnia, avec pas mal de trouvailles originales telles que les bagues pour voyager entre les mondes ou celles que j'ai déjà citées ; "L'armoire magique" est une histoire de guerre simple et par endroits puérile mais c'est le tout premier tome de la série, la pierre angulaire sans laquelle l'auteur n'aurait pas pu construire son univers (signalons aussi qu'il est le seul à avoir pensé que les portails magiques pourraient se trouver dans des lieux parfaitement ordinaires - et pas seulement SEMBLANT ordinaires, comme on y a sans doute pensé en urban fantasy -) ; j'ai aimé que "Le cheval et son cavalier" soit un tome qui prenne des risques du fait que Narnia n'y fasse qu'une brève apparition et qu'on s'intéresse au reste du monde ; "Le prince Caspian" est sans doute un livre plus adulte que les autres, sa politique et le fait que le merveilleux en-dehors du chapitre final soit beaucoup moins présent que d'ordinaire ; "Le voyage de la Belle Aurore" a un peu de sense of wonder hélas compensé par un récit trop décousu ; "Le fauteuil d'argent" a le mérite d'imaginer un Narnia plus crépusculaire, où le roi est mourant, où les principaux animaux parlants entrant en jeu sont des rapaces et les humanoïdes des êtres des marais, et de s'intéresser à ce qui se cache dans les profondeurs de la terre (je ne le dirais jamais assez, les souterrains restent trop méconnus de la SFFF) ; quant à "La dernière bataille"... "La dernière bataille"... Eh bien il y a certes peu d'action et pas mal de pourparlers inutiles, mais ce tome vient boucler la boucle entamée avec "Le neveu du magicien" : il y a eu une jeunesse, il y aura une apocalypse. Ce n'est pas évident de se débarrasser de son propre monde comme ça. (Évidemment, le plus gros défaut est peut-être un double sens tout comme dans "Le cheval et son écuyer" qu'on pourrait qualifier d'islamophobe ; les cyniques trouveront toujours dans ce dernier tome une belle raillerie des désirs d'oecuménisation).
Mais ce que Narnia a de plus grand comme mérite, c'est que ma mère me le lisait enfant, et que ça a été ma seule porte d'entrée réelle vers les littératures de l'Imaginaire. S'il n'y avait pas eu Narnia, je ne serais pas en train de vous parler aujourd'hui.