Car nous fûmes poissons avant que d'être hommes. Nous eûmes des nageoires, parait-il, avant d'avoir des bras et des mains. Le changement ne s'est pas fait en un jour, certes, il s'est fait insensiblement, en l'espace de plusieurs millions d'années (pendant ce temps, pour d'autres créatures sorties du même bain, la nageoire devenait aile, leur permettant de nager dans l'air), mais c'est bien comme ça qu'a débuté l'aventure humaine. Oublier le poisson, la souffrance du poisson, d'une certaine façon c'est oublier d'où l'on vient.
Oublier d'où il vient ou du moins préférer ne pas le savoir, c'est bien là le drame de l'homme.
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Orgueil démesuré, orgueil stupide de "l'homme nu" qui, une fois vêtu, armé, outillé, sédentarisé, une fois installé dans le monde et dans le langage, assis à la droite de Dieu, se considère comme un être d'exception. Moi et les petits oiseaux. Les petits oiseaux, c'est-à-dire quelques millions d'espèces animales. Quelques millions d'espèces animales rassemblés en un seul genre, "en un seul bloc", les bêtes, et moi et moi et moi. Ainsi s'étourdit l'animal raisonnable.
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Le propre de l'homme, c'est d’être moyen en tout. Du côté de la vision, on n'est pas terrible, du côté de l'ouïe ou de l'odorat, n'en parlons pas. Quant à la course à pieds, on peut être rattrapé par n'importe quelle bestiole moyenne. Par un tas de côté, on ne peut pas flamber...
Totalement cernés, pas très bons, nous avons été obligés de nous socialiser, d'unir nos forces, d'inventer des outils, des machines pour parvenir à occuper les niches restées libres. Corporellement, la chauve-souris, le cheval, l'aigle, le requin ont des millions d'années d'avance sur nous...
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