Sachant que le délai moyen entre l’infraction et la décision du tribunal est supérieur à six mois pour les délits, ce sont parfois des personnes sorties de la délinquance qui se retrouvent en prison. […] Faut-il vraiment, au nom du besoin de punir, briser des parcours de vie en reconstruction ?
On peut ne pas avoir le droit de résider sur le sol français, et y rester enfermé.
Pourquoi la surpopulation carcérale persiste-t-elle ? Parce qu'on manque de place de prison, disent les uns. Parce que la délinquance et la criminalité augmentent, disent les autres. Les deux ont tort. La surpopulation carcérale persiste parce que les jugements sont de plus en plus sévères et les peines de plus en plus lourdes. On enferme plus et plus longtemps, indépendamment des délits.
Or, le fait de construire des prisons ne résout rien. Depuis les années 1970, nous n'avons fait qu'agrandir le parc pénitentiaire, sans aucun effet sur la surpopulation carcérale : en 1978, il y avait en France 30155 personnes détenues pour 25097 places soit 12,4 % d'occupation. Plus de 40 ans après, le taux de surpopulation est comparable, mais la population détenue a été multipliée par 2,3. Et ceci sans corrélation avec une augmentation de la délinquance !
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Les journalistes ont une responsabilité colossale. Ils ont le pouvoir de faire monter le sentiment d’insécurité en mayonnaise et tourner au vinaigre la colère populaire. Ils ont aussi celui de vulgariser, de sensibiliser, d’éduquer. De faire preuve de justesse et de pédagogie. Ils pourraient informer davantage sur les conditions d’incarcération, sur la récidive et les freins à l’insertion en sortie de prison. Ils choisissent d’alimenter les fantasmes de l’opinion publique sur les figures des pires criminels. C’est un manque d’éthique honteux et une menace pour notre vivre-ensemble.
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On en fume [du cannabis] dans toutes les classes sociales. Mais les plus aisés se font livrer chez eux et consomment dans leur appartement. Les jeunes des catégories plus précaires vivent le plus souvent chez leurs parents et se retrouvent à l’extérieur pour fumer. Qui a le plus de chance de se faire prendre ?
Le 30 janvier 2020, [la Cour européenne des droits de l’homme] a rendu un arrêt dénonçant les conditions inhumaines et dégradantes des établissements pénitentiaires français, et le non-respect du droit à un recours effectif, pour les personnes détenues, afin de faire cesser ces atteintes.
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Parmi les agents du ministère de la Justice, on compte 28561 fonctionnaires chargés de la surveillance des prisons pour 4112 chargés de l’insertion des personnes condamnées. Résultat, la prison mène à bien sa mission de surveillance: on compte en moyenne moins de 20 évasions par an sur les dix dernières années. Mais toujours 59 % de recondamnations à la sortie de prison. Autre preuve que l’insertion est en réalité une mission très secondaire: l’absence totale d’évaluation. Le ministère de la Justice ne dispose d’aucune statistique sur les parcours d’insertion des personnes après la peine.
C’est inscrit dans nos racines judéo-chrétiennes, où l’expiation par la souffrance est une condition de la justice et de l’attribution du pardon. Jésus a racheté les fautes de l’humanité en mourant sur la Croix, et depuis les chrétiens se sont meurtris et flagellés pour que leurs péchés soient pardonnés.
Quand on frappe quelqu’un sous le coup de la colère, qu’on vole parce qu’on a faim ou qu’on prend le volant après une soirée trop arrosée, le risque de peine encourue pèse rarement dans la balance.
Des années après leur libération, certains attendent toujours qu’on ouvre la porte de leur chambre pour en sortir ou celle d’un magasin pour y entrer. D’autres, trop habitués à vivre avec un champ de vision de 10 mètres maximum, ont développé une phobie des grands espaces. Sortir dehors, marcher dans la rue leur est devenu difficile; ils s’enferment chez eux. En prison, on développe aussi une acuité auditive et de nombreuses personnes qui sortent ne peuvent plus supporter le bruit et la foule. Voilà l’autonomie qu’enseigne la prison.