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Critique de SZRAMOWO


Avec Trois heures du matin à New York, je poursuis ma plongée dans l'univers de Lieberman.
Ce roman écrit en 1982, (à l'heure où la France goûtait encore au plaisir du retour de la gauche au pouvoir et se gargarisait du bon fonctionnement de sa démocratie, les juristes de tout poil jubilant devant le dépoussiérage législatif d'un grand nombre d'institutions encore marquées par un Gaullisme suranné, audiovisuel, retraite à soixante ans, lois Auroux), révèle un auteur visionnaire capable de décrire la dérive des mécanismes financiers telle qu'elle conduira trente-cinq années plus tard à la crise majeure que nous avons connue.
Il y a du Lehmann Brother dans la Confederated Trust Bank et du Jérôme Kerviel dans Charley Daughtry, ce héros dont « Tout ce qu'on pouvait affirmer avec certitude c'est qu'il était originaire d'une petite ville du Middle West où il avait fait des études de commerce dans une petite université locale de réputation douteuse, avant de venir dans l'Est se tailler une place au soleil.»
Nommé sous-lieutenant pendant la guette du Viet-Nam, il s'est trouvé,»(...) fraîchement promu commandant de char au IIè de cavalerie blindée. (...)» et en est sorti «avec une tripotée de médailles et de citations et une jambe esquintée.»
Daughtry a deux passions :
La reconstitution de grandes batailles, le kriegspiel, qui occupe la totalité de son sous-sol où patiemment il réalise des maquettes réalistes où il rejoue les stratégies des grands généraux du passé.
« (...) sur une base en contreplaqué de 4 mètres sur 6, Daughtry entreprit de reconstituer un plan de bataille (...) - bois , sable, carton, brique, papier mâché, plâtre de Paris - il entreprit de reproduire (...) les reliefs de l'Afrique du Nord. (...) entre Mazagran et El Alamein (...) il confectionna au 1/250000è des montagnes, des déserts, des mers, (...) Les zones de combat furent délimitées au crayon noir.»
Les probabilités, la statistique, la magie des chiffres.
«Il mit au défi le chef cambiste d'imaginer six colonnes de cinq chiffres que lui, Daughtry, serait incapable de multiplier mentalement. (...) si tous les chiffres étaient exacts, alors ils seraient tenus de l'engager. (...) Et bien entendu, Daughtry fut engagé.»
Daughtry devient incontournable et attire les offres de la concurrence. La Confederated Trust Bank en fait son cambiste et son arbitragiste. Il jouit d'un pouvoir inédit au sein de cet organisme financier.
En 1978-1979, la montée en puissance de l'économie japonais (rappelez-vous alors, on ne donnait pas cher de l'industrie automobile américaine et européenne) conduit Sujimoto «Mes ancêtres étaient des samouraïs. Mon grand-père exerçait les fonctions de Shogun de la province de Honshu.» à prendre le contrôle de la banque américaine. Daughtry devient son interlocuteur.
Très vite, Daughtry qui ne se définit pas comme un expert financier mais comme un praticien du chiffre et de la statistique, attire l'attention de ses supérieurs sur des opérations de change, douteuses, que Sujimoto lui demande de réaliser.
«- La Weiler ?
Mais c'est votre propre banque !
Pourquoi la Weiler serait-elle prête à racheter plus cher ce qu'elle n'a vendu ?
Tout simplement parce que je lui en donnerai l'ordre. (...) de cette façon, la Confederated pourra afficher non pas une perte mais un bénéfice net (...)
(...) mais un profit fictif
Mais dans la hiérarchie, personne en réagit aux alertes de Daughtry. de plus, «M. Sujimoto veillait à ne jamais mettre par écrit ce genre d'instructions.»

Le roman commence réellement lorsque Sujimoto disparait et que Daughtry se retrouve seul, contre tous, face aux organes de contrôle fédéraux, aux commissions d'enquête parlementaires, et aux media.
Tout ce beau monde ne rêve que d'une chose : trouver le coupable et démontrer que le système bancaire est solide, et que seules des opérations frauduleuses expliquent la situation dans laquelle se trouve la Confederated.
(Voir SG et Kerviel)
La bataille de Daughtry est conduite sous l'égide des grands stratèges, Machiavel, Clausewitz, Napoléon, dont des citations sot en exergue de chaque chapitre.

Le récit renvoie dos à dos, économistes et politiques dont la vision de la réalité ne prend jamais en compte ni le comportement des hommes, ni leur sens plus ou moins élevé de la morale et de l'éthique.

Daughtry si on le compare à ces théoriciens, est un pur, ce qu'il a fait, il estime l'avoir fait avec l'assentiment, certes tacite, de sa hiérarchie, qui le nie, et lui-même n'aurait jamais eu l'idée de mentir.
Ses supérieurs sont des lâches qui s'attribuent le mérite des bons résultas dont il est l'artisan mais le rendent responsables uniquement des pertes.
Non sans humour, pour qualifier l'attitude de ces «responsables», Lieberman cite Rabelais en exergue du chapitre 18 «Volons sauver notre jambon.»

Daughtry comprend qu'il est seul. Il décide de mener le combat pour sauver son honneur. Retrouver Sujimoto et l'amener à témoigner.

Roman réaliste et pessimiste, Trois heures du matin à New-York, bien qu'écrit il y a plus de trente ans, nous renvoie à notre situation actuelle :

Hommes politiques impuissants à maîtriser un système économique qui s'auto régule malgré les tentatives de contrôle.
Incantations vaines du genre «j'irai chercher la croissance avec les dents» ou «mon ennemi est la finance» révélant la duplicité d'un discours politique peu crédible.

Le rebondissement en fin de récit, comme toujours chez Lieberman est totalement inattendu.

Roman à lire.

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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