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Critique de chocobogirl


Urkas ! est une autobiographie, sous forme de roman. Son auteur explique qu'il s'appuie beaucoup sur les propos de son grand-père et donc qu'il a une part de conte et de réinterprétation des faits.
Nicolaï raconte sa jeunesse sibérienne en Transnitrie. Qu'est-ce que la Transnitrie me direz-vous ? Non, ce n'est pas un pays imaginaire. Il s'agit d'un petit état indépendant et non reconnu, coincé entre la Moldavie et l'Ukraine. Il s'avère que de nombreux sibériens ont été déportés contre leur gré dans cette partie du monde. On ignore presque tout de ces exils en masse : La Russie a détruit les archives et seules la mémoire des anciens rappellent ce fait.

Nicolaï grandit donc dans cette communauté sibérienne où les tous les membres vivent entre eux. C'est un univers très fermé où la violence est omniprésente.
Mais une violence contre-balancée par un code d'honneur très rigoureux qui valorise l'entraide et l'humilité.
Les sibériens se considèrent comme des bandits, vivant de menus larcins : vols, trafics qui parfois amènent aussi le meurtre. Ils font preuve d'une haine viscérale envers les policiers. Les hommes ne sont d'ailleurs pas autorisés à leur parler directement et doivent passer par l'intermédiaire d'une femme. Si le meurtre n'est pas une fin en soi (on se bagarre plus qu'on ne tue), il peut devenir une sanction pour une traitrise, pour une question d'honneur, etc... Par exemple, le viol d'une jeune-fille peut devenir une véritable vendetta contre le coupable.
Les règles sibériennes font appel à une codification très développée dans tous types de rapports : salutations, demande d'aide, accueil au domicile, visites à d'autres communautés criminelles,... Alors que l'homosexualité est totalement réprimé, ils ont un profond respect pour les handicapés qu'ils protègent de l'agressivité des autres et sont très religieux. Une religion qui fait se cotoyer Dieu et d'autres croyances plus folkloriques. L'humilité est toujours de mise et la modernité venue des Etats-Unis proscrite. L'idée de liberté est complètement sacré.

Vous l'aurez compris donc, les sibériens ne sont pas des tendres et l'éducation de leurs enfants en est aussi le reflet. Les enfants cotoient dès leur plus jeune âge les armes auquels les sibériens vouent un véritable culte. La possession de sa première pique (couteau) est un véritable évènement dans la vie d'un garçon qui se voit intégré à la communauté criminelle. Les enfants apprennent à grandir avec la mort pour ne pas la craindre. Leur éducation se fait auprès des vieux criminels et à 12 ans, on leur demande de choisir leur future voie.
L'auteur est le parfait symbole de ces traditions : Il obtient sa première pique à 6 ans, connait les centres de redressement pour mineurs avant de découvrir la prison à 13 ans. Mais le métier que se choisit Nicolaï est celui de tatoueur, fasciné par les symboles complexes tatoués sur ses aînés.

Si Urkas ! est autobiographique, il se lit néanmoins comme un roman. A travers la jeunesse de l'auteur, on découvre toute une société secrète dont les règles sont très clairement définis. Qui les enfreint s'expose à des représailles. Une communauté très ambivalente qui oscille entre la violence la plus extrême et un certain honneur dans leurs règles de vie qui démontre aussi une certaine bonté chez ces hommes.
L'auteur adopte un ton assez détaché pour décrire cette société et devant la violence des faits. Cela pourra peut-être en hérisser certains. On plongera par exemple dans le quotidien de prisons totalement effroyables où les viols et humiliations sont quotidiennes entre les adolescents, où les gardiens utilisent les enfants pour tourner des films pornos, où on prend une douche par mois (âmes sensibles s'abstenir). Mais la distance ou la froideur que l'auteur donne à son texte donne ici une vérité nue, sans rien cacher, sans enjoliver. Sans misérabilisme non plus. Et finalement, c'est presque à un texte documentaire que nous assistons tant les informations sont riches et presque sans parti-pris. L'auteur donne à voir sa communauté, ses proches tels qu'ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts.

Mais loin d'être un récit linéaire de ses premières années, Nicolai donne du rythme à son récit en intégrant de nombreuses anecdotes qui permettent d'enrichir un peu plus l'idée que l'on peut avoir de cette communauté ou de son éducation. On reprochera peut-être à certaines d'être un peu longue mais au final l'auteur réussit toujours à retomber sur ses pattes et à recadrer le récit.
On peut citer par exemple tout un chapitre qui aborde le sujet du tatouage sibérien : une partie qui m'a véritablement passionnée ! Tout aussi codifié que les règles de vie, il répond à des normes bien précises mais secrètes. Nicolaï apprend à "lire" sur le corps de chaque criminel la vie qu'ils ont menés. Les tatoueurs sibériens ne sont pas considérés comme des criminels, ils ne tuent pas. Pourtant en URSS, c'est un crime passible de prison.

Bref, ce n'est pas un récit ni une enfance légère que vous découvrirez ici. Les bagarres vont se succéder et il faut lutter constamment pour sa survie. Pourtant, malgré la violence, on se prend à éprouver de l'affection pour ces personnages hors-normes. Si l'auteur décrit sans concessions sa communauté, on décèle un véritable amour pour celle qui l'a vu grandir en son sein. Car au delà de sa propre histoire, Urkas est surtout un récit témoignage d'une communauté qui n'existe plus. L'auteur le reconnait lui-même. Les règles ne sont plus respectés, les vieux ont disparus et les traditions séculaires avec eux. Les plus jeunes se sont laissés influencés par l'argent et le pouvoir.
Nicolaï Lilin a quitté la Transnitrie en 2003 pour l'Italie qu'il considère comme sa patrie désormais. Il continue d'y exercer le métier de tatoueur et devrait nous offrir la suite de son parcours dans d'autres romans à venir.

Urkas s'est révélé un texte entre roman et autobiographie, un texte qui a su complètement m'embarquer dans cette société traditionnelle. Je me suis créé un véritable film dans ma tête en le lisant.
Après une dizaine de jours, ma lecture garde une empreinte si forte sur moi que je peux donc affirmer que j'ai eu un coup de coeur pour ce livre !
Un ouvrage que je recommande aux amateurs de cultures différentes qui n'auront pas peur de se salir un peu les yeux !
Lien : http://legrenierdechoco.over..
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