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Citations sur Ombre chinoise (12)

Trente ans plus tard, elle commence là aussi dans l’embrasure d’une porte, le dimanche, derrière laquelle sa mère sourit toujours – Bonsoir ma chérie. Mais sous l’influence d’Alzheimer, elle s’est transformée. Elle porte désormais deux visages, parle avec deux bouches, pense avec deux cortex alternés. Sa mère est bilingue, elle le remarque cette fois. Lors du dîner, sa mère dit les choses familières en français – j’ai mis trop de sel, comme d’habitude. Mais le bruit s’infiltre plus tard à table dans une autre langue, le mandarin, un peu indistincte d’abord, puis plus nette, immanquable – Je sais bien. Je sais pourquoi elle est venue. Elle comprend encore un peu le mandarin, elle le remarque là aussi lorsque le son frappe son oreille – Elle vient me le prendre, la salope. Mais elle ne l’aura pas. Deux secondes plus tard, le sourire de sa mère n’a pas pris une ombre. Son visage reste lisse lorsqu’elle parle en français, presque sans accent – Sers-toi ma chérie, ça va refroidir. Puis le bruit chinois revient au fil du repas, indomptable, il gronde, il murmure, il tournoie comme un prisonnier en cage autour du rectangle de formica dont nul ne peut s’échapper, aussi longtemps que la langue maternelle a le dessus – Je sais bien pourquoi Pas folle Je l’ai bien caché L’imbécile, elle ne l’aura pas. Le bilinguisme est une malédiction.
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La lumière de juin s'intensifiait entre les façades neuves, les grandes vitres, les panneaux de métal, les automobiles et les réverbères, parmi lesquels elle s'émerveillait, au fond, d'être encore en vie, sanglée dans sa chemise blanche à lacets, baignée de sueur par les temps nouveaux. Surtout, elle l'aurait vu, se dit-elle, il fallait l'avoir vu, comme tout le reste. C'était pour cela qu'elle avait suivi la route, pour voir.
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Il insiste pour leur propre bien, sur leur déplacement vers l’Ouest – Plus vite ils partiraient, plus vite ils se lanceraient dans la voie du progrès et de la prospérité – une logique implacable au pays de Benjamin Franklin.
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Comment en était-elle arrivée là, à cette strate surnageant au cœur du français au bout d’un cordon introuvable ? Ce corps articulé à petites bouchées, elle s’en doutait, émanait de sa mère. Sa chair, son odeur lui revenaient dans le phrasé. C’était ce dont il avait fallu s’amputer à l’aveugle. Elle avait dû défaire chaque mot de l’accroche sur la glotte, dans le tympan. Avec ses quatre tons, la langue l’engluait de tout son poids, de ses dix mille signes démultipliés par les siècles inconnus de la petite enfance. Elle n’avait plus accès à ce terrain archéologique. Il lui avait fallu regarder vers ces restes comme vers une langue étrangère. Et migrer surtout. Une naufragée amnésique de la traversée – mais en partie seulement, aux neuf dixièmes.
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Ça va ? Et l’école, c’était bien ? Il fallait avoir de bonnes notes pour réussir plus tard, et autres inepties de ce genre, destinées à neutraliser l’enfance inconnue.
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Sa sœur l’avait suivi pour une dernière embrassade, avant de revenir s’asseoir devant le pot-au-feu et les tartines. Trop jeune, par malheur, elle avait méconnu la solennité du moment). Sans jamais prendre trop de place, en tout cas.
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Ce dont elles essayaient de s’abriter derrière la porte, ces radiations de rage avaient laissé une empreinte. Elle ne pourrait pas atteindre sa mère là où elle se tenait, où elle parlait de cette voix sortie de la gorge, de la trachée, non seulement du fond de l’île de Taïwan et de son rideau de tropiques, mais de son espace muré qu’elle explorait seule de ses gestes, de sa maladresse et de sa violence.
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C’était sur cette plage et dans cette idylle consanguine qu’elle avait décidé de s’en tenir aux prémices déposées sur l’asphalte à Paris, au hasard des rues et des carrefours, puisqu’elle devait éviter à tout prix de régresser vers les solutions, les débuts et les réponses, l’alpha et l’oméga des tropiques.
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Toute enfance avait été un western, au fond, se dit-il en retrouvant l’objet au fond de sa poche. Les grands espaces, l’aube de la loi, le tracé des villes, la vengeance et l’apothéose On était tous plus ou moins passés par là Ça ne devrait pas être si difficile.
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Elle y pensait donc très peu à cette enfance, à ces saisons extrêmes. Mais quand elle y songeait, la main enfouie dans un matériau inconnu, elle en arrivait à peu près là : des bribes de l’histoire, du roman d’immigrés de sa famille, elle avait tout trouvé en l’état. Elle n’avait rien eu à détruire elle-même, rien dont elle n’ait déjà, sans travail, découvert le tas de décombres. Des liasses d’images mal aérées fourrées dans sa mémoire, tout s’était effondré sans son intervention, ou presque.
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