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Critique de Cancie


Quel beau cadeau a fait Olivier Liron à sa mère Maria Nieves, dite Nieves, Neige en espagnol, en lui dédiant ce magnifique roman : le livre de Neige. C'est un tendre et bel hommage qu'il rend à celle qui a « la pudeur des sensitives » et qui lui a transmis l'amour de la vie et le transport par la littérature.
Pour esquisser ce portrait romanesque, Olivier Liron remonte d'abord aux origines, à ce Madrid des années 1930, au quartier de legazpi, au sud de la ville, où vit la petite Carmen de la Fe avec sa famille, famille bientôt confrontée, dès 1936 à la guerre d'Espagne. Quand les franquistes entrent dans Madrid, le 28 mars 1939, Carmen n'a que dix ans.
Quelques années plus tard, elle va rencontrer Paco. Amoureux ils se marient en 1953.
« À l'hiver 1954, au moment où, en France, l'abbé Pierre lance son insurrection de la bonté, une petite fille naît à Madrid. » On appelle la petite fille Maria Nieves, Marie des Neiges, peut-être parce qu'il faisait très froid à Madrid cette année-là…
Bébé, elle attrape la coqueluche et s'en sort in extrémis. Elle en gardera une légère surdité et un farouche instinct de survie ne la quittera plus, peut-être dû au fait d'avoir frôlé la mort.
À l'école franquiste du quartier où les cours sont pris en charge par l'Église, Nieves sent monter en elle un sentiment de révolte. « Est-ce à l'école franquiste que Nieves a commencé à ne plus croire en Dieu ? Est-ce parce que la religion lui donnait trop de crampes qu'elle est devenue, plus tard, une scientifique ? Est-ce cela qui l'a poussée à se tourner vers une autre religion, celle de la nature ? ».
En tout cas, elle n'a pas envie de ressembler à ces femmes soumises qu'on lui donne en modèle et elle comprend très tôt que la liberté passe par le savoir et par les livres.
Au début des années 1960 ses parents partent en France chercher du travail et Nieves restera chez sa tante Bernarda avant de les rejoindre en octobre 1963. Dans cette cohabitation en famille qui dure plus longtemps que prévu, Nieves, fille unique, se retrouve avec ses quatre cousins, intégrée à leur bande et vit les plus beaux mois de son enfance.
Elle quitte le sol natal en automne donc, vivant là un véritable arrachement.
Arrivée à Paris, elle connaît la misère des bidonvilles de la Plaine Saint-Denis, la plus grande zone industrielle d'Europe.
Nieves subit des humiliations et la honte, au début, de ne pas parler français.
Mais elle n'abandonnera jamais, gravissant tous les obstacles « Il ne faut jamais se décourager ».
Parlant de mieux en mieux le français, dès le CM2, sous l'impulsion de la nouvelle maîtresse, Madame Blin, Nieves se sent pousser des ailes et travaille comme jamais, finissant son année deuxième au classement général et reçoit le prix d'honneur.
Quelques années après être arrivée en France sans comprendre un seul mot de la langue, au bac de français elle obtiendra un 17/20 !
Elle demande en 1973, la nationalité française qui marque la fin de cette lente reconstruction.
Passionnée par les sciences, elle rencontre en classe préparatoire un garçon fort en maths lui aussi, Gabriel qui deviendra le père de l'auteur.
La deuxième partie du roman montre comment l'enfant s'est construit avec ce passé, en grandissant dans une famille heureuse. Ce sont ces souvenirs d'enfance et ces moments de tendresse qu'évoque Olivier Liron avec une grande sensibilité. Sa mère lui raconte comment l'écologie, c'est faire sa part pour sauver le monde et comment comprendre la nature peut aider à rendre heureux.
Sa maman n'évoquant jamais son passé, c'est sa grand-mère Carmen qui lui offre quelques histoires sur ses origines.
Mais Olivier ne comprend pas tout, ni les moqueries dont il fait l'objet à l'école, et encore moins la tristesse soudaine de sa mère. Triste lui aussi, il voudrait dire tant de choses à cette mère qu'il aime, et, n'y parvenant pas, les écrit dans son cahier...
Le livre de Neige, écrit entre réalité et fiction, m'a particulièrement touchée.
J'ai été éblouie par l'histoire de cette enfant qui a grandi sous la dictature franquiste, qui a connu l'exil et l'arrachement à sa terre natale, qui a dû affronter en arrivant en France la xénophobie et la misère et qui, grâce à une grande force morale, a rapidement compris qu'elle devait conquérir sa liberté et que cette liberté, c'était le savoir et les livres.
Ce n'est pas sans émotion que j'ai découvert cette vie et révisé cette période de l'histoire espagnole. J'ai été à la fois bouleversée de découvrir toutes les difficultés et les douleurs que Nieves a dû affronter et admirative sur la manière dont elle a bravé l'adversité.
Son analyse des religions : « Toutes lui apparaissent comme un système hiérarchisé, avec un règlement », et son désir : « Elle voudrait inventer sa propre religion, celle des livres. » me conviennent parfaitement.
De même, je ne peux que souscrire à son engagement pour l'écologie et le féminisme.
La plume délicate d'Olivier Liron, empreinte de douceur, de chaleur et de poésie donne une force éclatante au portrait de cette héroïne si brillante et pourtant si discrète.
L'intérêt de ce roman est aussi d'avoir inscrit cette histoire humaine dans la grande Histoire, notamment cette période de l'histoire espagnole qu'a été la dictature franquiste mais aussi, cette période de l'histoire de France dont il est peu fait mention dans les livres, à savoir celle de l'immigration. J'ai trouvé particulièrement pertinentes les questions que posent Olivier Liron : « Pourquoi, en France, les jeunes générations n'ont pas davantage accès à l'histoire de l'immigration ? Pourquoi cette histoire commune , belle et nécessaire, n'est pas inscrite dans les programmes scolaires ? Pourquoi des phénomènes aussi massifs occupent-ils si peu de place dans la mémoire collective ? Quelle amnésie nous constitue ? »
Le livre de Neige est un hommage d'Olivier Liron à sa mère empreint de délicatesse, de sincérité, de poésie, d'humour aussi où l'émotion transpire à chaque ligne et c'est aussi une ode à la vie, à la nature et à la puissance de la littérature.
À noter que plusieurs petits clichés de Nieves apportent au fil des pages une authenticité rafraîchissante.
Mais ce livre n'est-il pas aussi le récit de la naissance, de l'avènement d'un grand écrivain, à qui sa mère a su transmettre ses valeurs ?
Je remercie les éditions Gallimard pour m'avoir offert l'opportunité de découvrir la plume d'Olivier Liron en m'offrant ce magnifique livre dédicacé !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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