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EAN : 9782073004116
256 pages
Gallimard (12/10/2023)
4.06/5   162 notes
Résumé :
« J’ai voulu écrire ce livre comme un cadeau pour ma mère, Maria Nieves, dite Nieves, qui signifie neige en espagnol. Un livre pour elle, entre vérité et fiction. Un portrait romanesque par petites touches, comme des flocons. »

Neige a grandi sous la dictature franquiste, puis connu l’exil et la misère des bidonvilles de Saint-Denis. Humiliée, insoumise, elle s’est inventé en France un nouveau destin.
Hommage espiègle d’Olivier Liron à sa mère... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (78) Voir plus Ajouter une critique
4,06

sur 162 notes
Quel beau cadeau a fait Olivier Liron à sa mère Maria Nieves, dite Nieves, Neige en espagnol, en lui dédiant ce magnifique roman : le livre de Neige. C'est un tendre et bel hommage qu'il rend à celle qui a « la pudeur des sensitives » et qui lui a transmis l'amour de la vie et le transport par la littérature.
Pour esquisser ce portrait romanesque, Olivier Liron remonte d'abord aux origines, à ce Madrid des années 1930, au quartier de legazpi, au sud de la ville, où vit la petite Carmen de la Fe avec sa famille, famille bientôt confrontée, dès 1936 à la guerre d'Espagne. Quand les franquistes entrent dans Madrid, le 28 mars 1939, Carmen n'a que dix ans.
Quelques années plus tard, elle va rencontrer Paco. Amoureux ils se marient en 1953.
« À l'hiver 1954, au moment où, en France, l'abbé Pierre lance son insurrection de la bonté, une petite fille naît à Madrid. » On appelle la petite fille Maria Nieves, Marie des Neiges, peut-être parce qu'il faisait très froid à Madrid cette année-là…
Bébé, elle attrape la coqueluche et s'en sort in extrémis. Elle en gardera une légère surdité et un farouche instinct de survie ne la quittera plus, peut-être dû au fait d'avoir frôlé la mort.
À l'école franquiste du quartier où les cours sont pris en charge par l'Église, Nieves sent monter en elle un sentiment de révolte. « Est-ce à l'école franquiste que Nieves a commencé à ne plus croire en Dieu ? Est-ce parce que la religion lui donnait trop de crampes qu'elle est devenue, plus tard, une scientifique ? Est-ce cela qui l'a poussée à se tourner vers une autre religion, celle de la nature ? ».
En tout cas, elle n'a pas envie de ressembler à ces femmes soumises qu'on lui donne en modèle et elle comprend très tôt que la liberté passe par le savoir et par les livres.
Au début des années 1960 ses parents partent en France chercher du travail et Nieves restera chez sa tante Bernarda avant de les rejoindre en octobre 1963. Dans cette cohabitation en famille qui dure plus longtemps que prévu, Nieves, fille unique, se retrouve avec ses quatre cousins, intégrée à leur bande et vit les plus beaux mois de son enfance.
Elle quitte le sol natal en automne donc, vivant là un véritable arrachement.
Arrivée à Paris, elle connaît la misère des bidonvilles de la Plaine Saint-Denis, la plus grande zone industrielle d'Europe.
Nieves subit des humiliations et la honte, au début, de ne pas parler français.
Mais elle n'abandonnera jamais, gravissant tous les obstacles « Il ne faut jamais se décourager ».
Parlant de mieux en mieux le français, dès le CM2, sous l'impulsion de la nouvelle maîtresse, Madame Blin, Nieves se sent pousser des ailes et travaille comme jamais, finissant son année deuxième au classement général et reçoit le prix d'honneur.
Quelques années après être arrivée en France sans comprendre un seul mot de la langue, au bac de français elle obtiendra un 17/20 !
Elle demande en 1973, la nationalité française qui marque la fin de cette lente reconstruction.
Passionnée par les sciences, elle rencontre en classe préparatoire un garçon fort en maths lui aussi, Gabriel qui deviendra le père de l'auteur.
La deuxième partie du roman montre comment l'enfant s'est construit avec ce passé, en grandissant dans une famille heureuse. Ce sont ces souvenirs d'enfance et ces moments de tendresse qu'évoque Olivier Liron avec une grande sensibilité. Sa mère lui raconte comment l'écologie, c'est faire sa part pour sauver le monde et comment comprendre la nature peut aider à rendre heureux.
Sa maman n'évoquant jamais son passé, c'est sa grand-mère Carmen qui lui offre quelques histoires sur ses origines.
Mais Olivier ne comprend pas tout, ni les moqueries dont il fait l'objet à l'école, et encore moins la tristesse soudaine de sa mère. Triste lui aussi, il voudrait dire tant de choses à cette mère qu'il aime, et, n'y parvenant pas, les écrit dans son cahier...
Le livre de Neige, écrit entre réalité et fiction, m'a particulièrement touchée.
J'ai été éblouie par l'histoire de cette enfant qui a grandi sous la dictature franquiste, qui a connu l'exil et l'arrachement à sa terre natale, qui a dû affronter en arrivant en France la xénophobie et la misère et qui, grâce à une grande force morale, a rapidement compris qu'elle devait conquérir sa liberté et que cette liberté, c'était le savoir et les livres.
Ce n'est pas sans émotion que j'ai découvert cette vie et révisé cette période de l'histoire espagnole. J'ai été à la fois bouleversée de découvrir toutes les difficultés et les douleurs que Nieves a dû affronter et admirative sur la manière dont elle a bravé l'adversité.
Son analyse des religions : « Toutes lui apparaissent comme un système hiérarchisé, avec un règlement », et son désir : « Elle voudrait inventer sa propre religion, celle des livres. » me conviennent parfaitement.
De même, je ne peux que souscrire à son engagement pour l'écologie et le féminisme.
La plume délicate d'Olivier Liron, empreinte de douceur, de chaleur et de poésie donne une force éclatante au portrait de cette héroïne si brillante et pourtant si discrète.
L'intérêt de ce roman est aussi d'avoir inscrit cette histoire humaine dans la grande Histoire, notamment cette période de l'histoire espagnole qu'a été la dictature franquiste mais aussi, cette période de l'histoire de France dont il est peu fait mention dans les livres, à savoir celle de l'immigration. J'ai trouvé particulièrement pertinentes les questions que posent Olivier Liron : « Pourquoi, en France, les jeunes générations n'ont pas davantage accès à l'histoire de l'immigration ? Pourquoi cette histoire commune , belle et nécessaire, n'est pas inscrite dans les programmes scolaires ? Pourquoi des phénomènes aussi massifs occupent-ils si peu de place dans la mémoire collective ? Quelle amnésie nous constitue ? »
Le livre de Neige est un hommage d'Olivier Liron à sa mère empreint de délicatesse, de sincérité, de poésie, d'humour aussi où l'émotion transpire à chaque ligne et c'est aussi une ode à la vie, à la nature et à la puissance de la littérature.
À noter que plusieurs petits clichés de Nieves apportent au fil des pages une authenticité rafraîchissante.
Mais ce livre n'est-il pas aussi le récit de la naissance, de l'avènement d'un grand écrivain, à qui sa mère a su transmettre ses valeurs ?
Je remercie les éditions Gallimard pour m'avoir offert l'opportunité de découvrir la plume d'Olivier Liron en m'offrant ce magnifique livre dédicacé !

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Le livre de Neige d'Olivier Liron m'a d'abord emmené dans cette Espagne des années 1930 qui se sont très mal terminées avec l'arrivée au pouvoir d'un dictateur fasciste, Franco.
Ce dernier n'a pas hésité à massacrer une partie de son peuple et à faire fuir beaucoup d'autres. D'ailleurs, ces derniers se sont retrouvés dans des camps sinistres après avoir passé la frontière. Notre beau pays a bien su les accueillir…
Olivier Liron me parle d'abord de la branche maternelle de sa famille qui descend de Juifs convertis de force au catholicisme, appelés marranes.
Ainsi, la guerre civile déchire l'Espagne. Luis, le mari de Bernarda, soeur de Carmen, grand-mère de l'auteur, est fait prisonnier puis fusillé.
Carmen a dix ans à la fin de la guerre civile. En 1953, elle épouse Paco contre l'avis de son père. L'année d'après, naît María Nieves, d'où ce prénom de Neige.
Son histoire est racontée par petites touches, de courts chapitres, tous avec un titre. Parfois, je les trouve un peu courts. J'aurais aimé un peu plus d'approfondissement.
Olivier Liron se base sur les souvenirs de sa grand-mère, Carmen, plus volubile que Neige, sa mère. Il fait aussi oeuvre de romancier en comblant les vides.
Toute cette histoire familiale ressemble à bien d'autres mais Olivier Liron a eu le courage de s'y confronter, de me faire partager joies et nostalgie d'une Espagne enfin débarrassée de Franco, pays bien apaisé depuis, même s'il faut ne jurer de rien quand on voit l'évolution politique actuellement en Europe.
Le style d'Olivier Liron est fluide. Il tente de détailler au maximum l'histoire de sa mère dans le livre de Neige. Ceci est une belle et complète histoire d'une famille, histoire que j'ai aimée lire, passant de l'Espagne à notre pays avec une intégration amplement réussie.
L'arrachement au pays a été difficile à vivre pour Neige comme pour Carmen et Paco, avec la honte d'être des immigrés. de plus, la guerre rattrape la famille qui vit dans ce quartier appelé la petite Espagne, à Saint-Denis. C'est l'occasion de rappeler la mémoire de Celestino Alfonso qui fut exécuté avec le groupe Manouchian.
Un peu plus tard, Neige réussit brillamment à l'école, même si elle dérange car elle vient d'ailleurs. Ainsi, pas à pas, Olivier Liron conte la progression de sa mère dans le système scolaire français.
Elle obtient enfin la nationalité française, poursuit de brillantes études, devient écologiste, séduite par René Dumont que nous aurions dû vraiment écouter car nous n'en serions par là aujourd'hui.
S'ensuit mariage, enseignement et naissance de l'auteur le 27 mars 1987. À partir de là, je suis la progression de ce garçon qui apprend même à lire à Carmen, sa grand-mère, mais je vous laisse découvrir la suite. le récit est agrémenté de nombreuses photos qui permettent de visualiser les principales étapes de la vie de Neige.
Le Livre de Neige contient bien d'autres détails intéressants, révélateurs de toute une époque pas si lointaine et pourtant trop vite oubliée. Heureusement, il nous reste, entre autre, la littérature…

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Olivier Liron écrit ce livre en hommage à sa mère, une formidable déclaration d'amour à celle-ci. Il nous raconte la vie de celle-ci, de sa petite enfance, à maintenant.

Sa mère, Maria Nieves, dite Nieves, neige en espagnol. est née à Madrid. Une enfance au soleil, certes, mais difficile, marquée par la pauvreté et la guerre. Alors les parents de Nieves partent vers la France et la petite fille les rejoint peu après. Il faut alors apprivoiser une vie nouvelle, la langue en tout premier lieu, le mépris de certains, le jugement d'autres, le rejet parfois. La petite fille va se battre, elle utilisera son intelligence pour apprendre vite, se distinguer par ses connaissances te compétences et devenir professeur, pour transmettre à son tour.

J'ai beaucoup aimé la partie du livre qui nous raconte les années d'apprentissage de cette femme courageuse, qui saura se battre dans un contexte où tout est plus difficile pour elle. L'auteur nous décrit avec beaucoup de justesse la vie de ces immigrés dans la France des trente glorieuses, où la vie restait malgré tout difficile pour certains. Cette petite fille est attendrissante et impressionnante par sa volonté de réussir. Rien ne l'arrêtera, ni les brimades, ni les moqueries, ni la pauvreté.
J'ai moins aimé la suite, la partie où l'auteur se met en scène, où il évoque les difficultés rencontrés par ses parents. Bien sur, il pose sur ces années son regard d'enfant, mais cette vision naïve l'amène à rester à la surface des choses, et j'aurai aimé que les difficultés relationnelles entre les époux, les siennes avec sa mère soient plus approfondies. Même si cette partie est moins longue que la précédente, il m'a fallu beaucoup plus de temps pour la lire, laissant passer de longues heures entre deux moments de lecture.

Ce livre est aussi un formidable hommage aux livres et au pouvoir de la lecture, à la fois source de connaissances et moyen d'évasion.



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Le livre de Neige, autrement dit Maria Nieves, est un hommage de l'auteur à sa mère. « Un livre pour elle, entre vérité et fiction ».

Maria Nieves est née en Espagne et vivra dans son enfance la guerre civile, puis l'exil, vers la France, le séjour dans les bidonvilles de la Plaine saint Denis, dans l'atmosphère enfumée des usines qui occupaient alors le site.

L'enfant est curieuse, avide de comprendre, passionnée par les sciences et aura un parcours scolaire d'autant plus remarquable qu'il faut faire doublement ses preuves lorsque les origines sociales sont toisées par les autorités qui décident. Elle aura la chance de rencontrer des enseignants assez lucides pour repérer ses capacités hors norme et encourager l'enfant hors des routes toutes tracées.

Viendront le temps des amours et du mariage, d'où naitra l'auteur de ce récit attendrissant. Ses propres souvenirs se mêleront à ce qu'il comprend des forces et des faiblesses de sa génitrice.

Outre l'intérêt historique du texte et de ce qu'il enseigne sur la guerre civile espagnole, Olivier Liron dresse un magnifique portrait d'une femme dont la clairvoyance sur la condition féminine a été très précoce.

Roman émouvant d'autant que l'on perçoit la sincérité de cet amour filial sans concession.

229 pages Gallimard 10 février 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Début mars 2022- Librairie Caractères / Issy-les-Moulineaux

Un livre solaire qui réchauffe et illumine !

Déjà plus d'un mois que j'ai terminé la lecture de ce magnifique texte...

Tant d'auteur(es) ont rendu hommage à leur père, leur mère...leur fratrie, etc.
Toutefois ce livre , à plus d'un titre, sort du lot...: de la drôlerie, de la fantaisie, de l'amour à foison, de la poésie... ce qui ne soustrait pas les souffrances, les chagrins, les manques , de toute histoire familiale !

Un hommage vibrant de l'auteur à sa maman, Neige; personnalité hors du commun, aimante, flamboyante, joueuse, scientifique convaincue, amoureuse des arbres, des forêts, de la nature... Neige, aussi avec ses ombres et ses fantômes !
Petite fille exilée, humiliée, solitaire, qui a dû très, très jeune quitter son Espagne natale... pour fuir la dictature de Franco et la guerre civile !
Cette enfant ,arrachée à son enfance et à sa terre ensoleillée ,va développer une résilience exceptionnelle; sa passion, sa curiosité pour les Sciences, les livres et les arbres...vont l'aider à se construire et à devenir une enseignante passionnée , chaleureuse...et bienveillante.

Pour une fois, je réduirai mes "bavardages" pour ne pas amoindrir la force de ce texte, porté par un style d'une rare musicalité et élégance !
Un mal fou à quitter Paco et Carmen [les grands-parents], Neige, leur fille et le petit-fils, Olivier- [l'auteur]. J'insère l'extrait expliquant le choix de Neige pour le prénom de son fils unique, qui exprime déjà beaucoup de la personnalité maternelle !

"Un prénom
Pour ma mère, le prénom Olivier est une évidence, une synthèse. L'olivier est un arbre tortueux, millénaire. Elle aime son écorce, ses cicatrices et sa torsion.La façon dont il porte les marques du temps,
.Son endurance. Sa croissance lente, sa longévité. L'olivier incarne une civilisation, la Méditerranée. Il renvoie à ses racines,aux champs de l'Andalousie d'où vient Paco.A des siècles d'histoire. Il est le symbole de la paix,il évoque la philosophie de la non-violence. Elle aime tant ce prénom que si j'avais été une fille,elle m'aurait appelée Olivia."(p.124)

C'est la toute première fois que je lis cet auteur et j'ai hâte de découvrir un autre récit antérieur, "Einstein, le sexe et moi", écrit complémentaire, à ce chant d'amour et de reconnaissance d'un fils unique à sa mère !
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critiques presse (1)
LaLibreBelgique
18 avril 2022
Que voilà un bien beau portrait ! Celui d'une femme qui va vivre son exil comme une blessure, qui sera mue par un intense désir de liberté et dont le parcours s'avérera exemplaire.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (145) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
J’ai voulu écrire ce livre comme un cadeau pour ma mère, Maria Nieves, dite Nieves, qui signifie neige en espagnol. Un livre pour elle, entre vérité et fiction. Un portrait romanesque par petites touches, comme des flocons.

AUX ORIGINES
Madrid, années trente. Carmen de la Fe grandit dans le quartier de Legazpi au sud de la ville, au sein d’une famille de treize frères et sœurs. Parmi eux, cinq sont morts en bas âge. Carmen est très proche de sa grande sœur, la Bernarda, qui s’est mariée jeune. Elles chérissent leur mère Ana, una santa mujer, et se méfient du Borgne, leur père violent et alcoolique. Dès qu’il a le dos tourné, elles murmurent entre leurs dents : El cabrón !
Juste avant la naissance de Carmen, deux jumeaux sont morts. Sa mère Ana lui a dit :
— Les enfants qui meurent deviennent des anges.
Alors, quand elle sent une légère brise agiter les rideaux dans une pièce aux fenêtres fermées, quand elle éprouve une impression de fraîcheur sur ses tempes, un chuchotement inexplicable autour d’elle, elle sait que ce sont les jumeaux. Un dimanche, elle était en train de plier un couvre-lit dans la chambre de ses parents quand elle a entendu un grand froissement d’ailes. Elle s’est retournée, a senti leur présence. Ses anges gardiens.

Il faut se représenter le quartier de Legazpi avant la guerre d’Espagne, un quartier comme tous les autres quartiers de Madrid, avec des cloches, des horloges et des arbres, de la lumière sur tout cela comme un psaume ; un immeuble avec des géraniums accrochés aux fenêtres et des couloirs interminables où courent toute la journée des chiens et des petits enfants ; des rires qui éclatent dans le soir en grands bouquets parfumés. Au dernier étage vivent les Machado, un vieux couple d’antiquaires, et leur perroquet Gastón, la mascotte de l’immeuble. Quand elle va sur le toit pour faire sécher le linge, Carmen voit au loin le visage sec de la terre de Castille, comme un océan de cuir. Elle laisse le soleil inonder son visage. La gratitude des jours d’enfance est infinie.

Carmen ne sait ni lire ni écrire, elle aide sa mère à la maison. Très pieuse, elle adore se rendre à l’église de la Virgen de la Paloma, et y allumer des cierges pour sa mère et sa grande sœur. Pourtant, leur nom de jeune fille est de la Fe, trace des origines juives de la famille. À la fin de la Reconquista en 1492, les juifs et les musulmans qui vivaient en Espagne furent dans l’obligation de se convertir au christianisme, sous peine d’être jetés au bûcher – « le baptême ou la mort », telle était la devise funeste du prêtre dominicain Vincent Ferrier, qui pensait aussi que les juifs étaient « des animaux avec des queues et menstrués comme les femmes ». Les noms Santa Cruz, Amor de Dios ou Ave María viennent de cette conversion forcée. Les juifs qui continuaient à pratiquer secrètement leur religion furent désignés comme les marranos, les « porcs », et persécutés par l’Inquisition. Pour survivre, beaucoup adoptèrent des noms outrancièrement catholiques : José, María, Santiago, Jacobo, Tomás. Carmen est loin de s’en douter, quand elle allume des cierges à l’église.

Son plus grand bonheur est d’aller au marché. Elle aime la rue pleine de vie, les cris des vendeurs et l’odeur du pain chaud. Les marchandes de poisson qui trônent parmi les merlus, le bacalao et les calamars. L’huile d’olive. La pulsation de la ville. La beauté des toits sous le soleil froid. Les flèches des églises qui s’élancent vers le ciel. Les pommes de terre comme des lingots d’or. Elle touche les pastèques et les chirimoyas, les poivrons et les tomates bien mûres. Les jumeaux lui chuchotent un jour : « La vida es un regalo » (« La vie est un cadeau »).
À la tombée du soir, elle marche avec Bernarda dans la calle Princesa ou sur la Gran Via. Elles vont jusqu’à la Puerta del Sol, passent devant les tables bondées de la Taberna de Correos où se donnent rendez-vous de jeunes poètes inconnus de la Residencia de Estudiantes : des inconnus nommés Rafael Alberti, Federico García Lorca ou Pablo Neruda.
Mais un matin, tout se met à brûler. Madrid est en feu, comme si tous les bûchers de l’enfer étaient sortis de terre pour dévorer les êtres vivants. La poudre. Le sang. On est en 1936, l’Espagne vit sous la Seconde République et les élections sont marquées par une victoire écrasante du Front populaire. Une partie de l’armée espagnole, commandée par le général Franco, lance un coup d’État depuis le nord du Maroc. Le pays entier est divisé en deux camps. Quand la ville est bombardée, la famille se réfugie dans la cave d’un immeuble. Carmen invoque ses anges. Elle ne comprend pas la guerre, ou plutôt elle comprend que c’est exactement cela, la guerre, ne plus rien comprendre.
Les républicains sortent victorieux de la bataille de Madrid, mais la guerre continue. Le lundi 26 avril 1937, les avions de la légion Condor de la Luftwaffe et les Savoia-Marchetti SM.79 de l’Aviazione Legionaria de Mussolini bombardent Guernica. Carmen voit les avions étrangers qui arrivent tous les jours du ciel. Et le sang des enfants se met à couler dans les rues, simplement, como sangre de niños. Au début de l’année 1939, les forces républicaines s’effondrent. Des centaines de milliers de réfugiés espagnols s’enfuient pour gagner la France. Ils seront parqués dans ces camps de la honte que l’État français appelle des camps de concentration. Le 28 mars, les franquistes font leur entrée à Madrid. Le dernier jour de la guerre, le mari de Bernarda, Luis, qui se bat aux côtés des républicains, est fait prisonnier.
Dénonciation anonyme. Putain de dernier jour !
La répression s’exerce avec une barbarie sans précédent. Au total, la guerre civile espagnole fera plus d’un million de morts pour un pays de vingt-six millions d’habitants.
La petite Carmen met son plus beau chapeau, elle accompagne sa sœur Bernarda chez le général Varela pour demander la grâce du mari. Elles patientent longtemps devant l’entrée du palacio de Buenavista, le siège du ministère des Armées. Quand le général Varela fait son apparition, gants blancs en cuir de chevreau, bottes cirées, uniforme impeccable, escorté de ses soldats, il regarde la Bernarda et éclate de rire :
— Tu es une très belle gitane, mais je ne peux rien pour toi !
Quatorze jours plus tard, Luis sera fusillé.

À la fin de la guerre, Carmen a dix ans. Elle s’occupe de Luisa et Luisito, les deux enfants en bas âge de sa sœur. Dès qu’elle a le dos tourné, le petit Luisito échappe à sa surveillance et s’enfuit pour retourner chez sa mère. Un mercredi, dans un terrain vague à proximité de l’immeuble, il tombe sur un jouet magnifique. Il se penche sur le jouet, cherche à l’ouvrir avec les mains, puis avec les dents. La mine lui explose au visage. On vient chercher Carmen en urgence. Luisito est au pied de l’immeuble, défiguré, les entrailles du jeune garçon sortent de son ventre. Il meurt dans la voiture qui le transporte à l’hôpital, dans les bras de Carmen.
La vie continue pourtant. Il faut survivre et nourrir sa famille : Carmen ramasse des champignons pour les vendre à la gare avec des figurines de Mickey. Personne ne veut des champignons, alors elle les mange. Elle glane des épis de blé, qu’elle moud avec une bouteille pour faire de la farine. Elle grimpe comme un garçon dans les camions des maraîchers pour voler des oranges.
À quatorze ans, elle entre à l’usine d’aluminium où elle se blesse et perd l’usage d’un doigt. Elle fabrique des pièces de monnaie. Un jour, à la pause, un homme la regarde en souriant, cigarette aux lèvres. C’est Paco, fondeur dans la même usine. Carmen est gaie, rieuse et sympathique. Paco est plus âgé et beau garçon.
Ils vont faire un tour à la feria de San Isidro. Mais il se met à pleuvoir et Paco doit rentrer chez lui plus vite que prévu. Ils se perdent de vue.

Des années plus tard, ils se retrouvent par hasard. Carmen marche près de la gare d’Atocha lorsqu’elle tombe sur un homme qu’elle reconnaît aussitôt. Paco revient de ses deux ans de service militaire. Il s’exclame avec un sourire de marlou :
— Dis donc, toi… Ça fait longtemps que je ne t’ai pas vue !
Elle ne se laisse pas impressionner :
— Moi aussi… Tu avais peur que je te mange ? Tu es marié ?
Paco vient de se séparer de sa fiancée Gabriela, qui s’amusait un peu trop entre les permissions. Il insiste pour revoir Carmen.
Il lui parle de son enfance. Il est orphelin et vient de Cadix, en Andalousie. Il a grandi parmi les champs d’oliviers. Son père était militaire à Melilla en territoire marocain, avant la guerre civile ; une voiture l’a renversé alors qu’il sortait de la caserne. Paco avait cinq ans. Sa mère a touché une minuscule pension de veuve, insuffisante pour faire vivre ses enfants, et Paco est parti dans un pensionnat de Séville, où il a appris à lire et à écrire. Il connaît même les tables de multiplication. Ruinée, la famille de Paco a quitté l’Andalousie et s’est installée dans un taudis de Vallecas, en banlieue de Madrid. Là-bas, on va chercher l’eau au puits. Il n’y a pas d’électricité, il faut s’éclairer à la bougie et les ombres dansent sur les murs.

En 1953, Carmen et Paco sont amoureux. Le père de Carmen, le Borgne, s’oppose fermement à leur mariage. Quand elle lui demande sa bénédiction, il la gifle :
— Je te maudis, hija !
De l’autre côté, la mère de Paco déteste Carmen, elle préférait Gabriela qui était de bonne famille. Pendant la semaine sainte, elle s’agenouille et supplie Dieu de faire échouer l’union. C’est mal connaître Dieu : ils se marieront.

Le curé, don Gerundio, est un homme que Carmen trouve sympathique, et bizarre. Pour avoir le droit de se marier par l’allée centrale, il faudra mettre le prix :
— Vous comprenez, ça use le tapis…
Avec don Gerundio, tout se monnaie. Les amoureux sont décontenancés. Paco demande de but en blanc :
— Par où est-ce le moins cher ?
— Par le côté. Mais en passant par le milieu, vous pouvez mettre des f
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Nieves ne comprend pas le bon Dieu. Elle refuse de tout son être, et cette évidence ne la quitte pas, qu’un dieu bon, réellement bon, puisse tolérer la souffrance. C’est pour elle une question fondamentale qui la poursuit tous les jours. Comment Dieu peut-il tolérer autant de désolation ? La misère partout ? Tous les culs-de-jatte ? Et sa propre famille qui crève de faim ? Pourquoi cela ?
Le jour de la communion, en mai, Nieves… Elle pénètre dans l’église sous les yeux de sa mère qui la regarde avec fierté.
Devant elle, le dieu sur sa croix souffre et expie. Elle ne lui a rien demandé pourtant ! Elle préfère être responsable de sa vie. Pas besoin que quelqu’un d’autre prenne sa souffrance à sa place. Toujours cette image culpabilisatrice. Cette culpabilité qu’on porte depuis l’origine. Pourquoi ? S’ils ont fait des conneries, les premiers humains, on n’est pas responsables. On n’a pas à endosser !
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Elle est écœurée par le rôle de l’Église dans la colonisation. Ce qu’on peut faire au nom de dieu pour imposer la foi. C’est monstrueux. Elle fait le parallèle avec ce qu’elle a vécu en Espagne. Là-bas, l’Église est toujours la béquille de Franco. Cette association avec le pouvoir politique, pour Nieves, cela disqualifie l’Église. La spiritualité, c’est autre chose, ça n’a rien à voir. Elle trouve que l’Église est un parti politique comme un autre. Simplement, on ne vote pas tous les cinq ans. Et puis elle n’aime pas qu’ils lui fassent peur avec cette histoire d’enfer. Imaginez ce qui va vous arriver si vous n’êtes pas pratiquants… Les gens ont peur. C’est normal. On ne peut pas y échapper.
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Carmen est sublime dans sa robe blanche. À son bras, Paco est l’élégance même. Bernarda se tient à côté d’eux, toute de noir vêtue, avec la peineta dans sa mantille et un œillet couleur rouge sang. Les invités chuchotent, terriblement jaloux :
- Como une que tiene dinero ! (En voilà une qui a de l’argent !)
Pour le repas de mariage, on a fait simple. Un verre de lait et un petit pain pour tout le monde.
(page 23)
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Nieves ne comprend pas le bon Dieu. Elle refuse de tout son être, et cette évidence ne la quitte pas, qu’un dieu bon, réellement bon, puisse tolérer la souffrance. C’est pour elle une question fondamentale qui la poursuit tous les jours. Comment Dieu peut-il tolérer autant de désolation ? La misère partout ? Tous les culs-de-jatte ? Et sa propre famille qui crève la faim ? Pourquoi cela ?
(page 37)
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